Dans la vague…

  • Recherche
Publié le 18 novembre 2020 Mis à jour le 15 janvier 2021
Date(s)

le 10 avril 2020

une vague
une vague

Une illustration mathématique simple de la propagation du virus SARS-CoV-2 révèle une mécanique difficile à contrer.

Par Gilbert Reinisch, Observatoire de la Côte d’Azur, Laboratoire Lagrange, Université Côte d'Azur. Université d’Islande, Unité Nanotechnologies, Reykjavík

gilbert.reinisch@oca.eu ; gilbert@hi.is

Introduction

Je n’ai nulle compétence pour tout ce qui concerne la machinerie complexe de la biologie moléculaire et de la virologie. Il n’est donc pas question que je me mêle en quoi que ce soit des informations et/ou explications fournies par mes collègues professeurs et chercheurs dans ces domaines actuellement très « chauds » parce que concernant une épidémie mortelle inconnue. Mais je suis physicien et n’ai pas oublié ce précepte de Richard P. Feynman dans l’épilogue de son cours de mécanique quantique (Addison-Wesley, 1965) : « Je voulais surtout faire prendre conscience de ce monde merveilleux et de la vision qu’un physicien peut en avoir, ce qui est à mon sens une partie essentielle de la vraie culture des temps modernes. » Et il ajoute, narquois : « Il y a sûrement des professeurs d’autres disciplines qui ne seraient pas d’accord, mais je pense qu’ils ont complètement tort. »

Voilà donc ma démarche, qui fut déjà celle de mon précédent article . Physicien, j’observe. Scientifique, je constate. Citoyen, je questionne. Mais je ne fournis pas de réponse.

Un état des lieux

Rappelons le principe de cette étude qui n’est –c’est important de le souligner—pas un modèle, mais un ensemble de constatations. Un modèle a pour ambition de prédire l’avenir. Un constat, non. Ma démarche est donc exclusivement expérimentale si l’on ose cet aphorisme concernant un drame humain planétaire. « Expérimentale », cela signifie qu’elle n’explique pas. Elle constate les faits, ai-je dit, les relie à une description mathématique élémentaire (du niveau d’une terminale scientifique) et en déduit quelques propriétés que je pense valables uniquement à l’instant « t » de la rédaction de cet article, c’est-à-dire le 10 avril 2020.

Ainsi, on ne se préoccupe pas du processus de la contamination de l’épidémie du Covid-19. En effet la définition de ce processus dépend crucialement du nombre, de la fréquence et de la fiabilité des tests effectués et ne peut donc constituer un fait objectif en soi, tant leurs résultats ont été variables en temps et en lieux dans les deux pays étudiés : l’Italie et la France. Ainsi, on ne considère que le nombre de décès constatés dans chaque pays ( chiffres qui sont en parfait accord avec ceux communiqués quotidiennement par les autorités françaises pour la France ). C’est un bon échantillonnage car ces deux pays appliquent de façon homogène et uniforme les consignes de réduction des interactions sociales (confinement) dans une population dont on connaît évidemment par ailleurs le nombre exact d’habitants. Le taux de mortalité qui en résulte peut donc être réputée objectif. Or concernant la France tout au moins, ce n’était pas le cas jusqu’à début avril 2020. En effet, le chiffre affiché par le gouvernement ne concernait avant cette date que le nombre total journalier des décès en milieu hospitalier (croix sur les figures 1 & 2) et n’incluait donc pas les décès dans les centres sociaux et médico-sociaux dont les EHPAD, pourtant lieux propices à de nombreux décès supplémentaires, en particulier à cause de l’âge avancé des résidents. 

On voit clairement la correction importante que le nombre de décès en EHPAD rajoute à celui en milieu hospitalier en France : les croix représentent ces derniers et les « croix+cercles » représentent le total, milieu hospitalier + EHPADs. La différence est notable et croissante de façon inquiétante avec le temps : cf. figures.

Observons maintenant la figure 1 qui montre la mortalité quotidienne due au Covid-19 vs le nombre de jour comptés à partir de début 2020 (les récentes évaluations de l’apparition du virus en Italie et même en France envisagent en effet cette période). Les flèches indiquent le début du confinement pour ces deux pays alors que la double-flèche montre la sortie du régime de croissance exponentielle et la transition vers une croissance linéaire plus douce dans chacun des pays. Que nous apprennent donc ces courbes ? 

 figure 1

 Figure 1

 -Que la convergence vers un maximum (le fameux « pic » des décès) est lente, nonobstant le confinement drastique imposé depuis maintenant plus de trois semaines en France et plus d’un mois en Italie.
- Que, une fois passées la période de croissance exponentielle jusqu’à la double-flèche, puis la période suivante de croissance plus faible –quasiment linéaire-- d’une durée environ d’une semaine, on observe un très léger fléchissement pour ce qui concerne l’Italie (cercles ; mais les décès hors milieu hospitalier ont-ils été comptabilisés ? En comparant avec les données françaises, on est en droit de se poser la question).
- Qu’il semble donc que, en ce qui concerne le nombre de décès, on reste encore relativement loin d’un hypothétique « plateau » auquel les média et certains porte-parole médicaux font pourtant assez souvent référence (mais s’agit-il d’un « plateau » concernant les entrées en hospitalisation, en réanimation ou les décès ? Ce n’est pas toujours clair dans les interventions médiatiques).
- Que le confinement a bien créé à partir de la double-flèche de la figure 1 l’effet modérateur désiré par rapport à la croissance exponentielle de référence en France (pointillés) :

N = 21 exp[ (t-67.5)/T ], (1)
et en Italie (courbe en gras : voir précédent article) :
N = 21 exp[ (t-58)/T ], (2)

(l’équation (1) est obtenue à partir de Eq. (2) en tenant compte du retard de 9.5 jours de la progression de l’épidémie en France par rapport à l’Italie).

- Que l’« explosion exponentielle » qui survient en France et en Italie après la longue période de « calme avant la tempête » (cf. figure 2) obéit au même temps caractéristique : T = 4.34 jours . (3)

Ce temps est, rappelons-le, celui au bout duquel une valeur donnée de la fonction exponentielle est multipliée par e ~2.72. Donc au bout d’un temps égal à nT, une valeur initiale, quelle qu’elle soit, est multipliée par eⁿ.  

En faisant la synthèse de ces premières observations, on peut logiquement estimer que :

-  La période d’incubation de la maladie en milieu confiné se situerait entre le début du confinement (flèches) et la sortie de la croissance exponentielle (double-flèche). On retrouve bien ainsi une période de deux semaines environ.
-  La période d’une éventuelle aggravation impliquant une hospitalisation pouvant mener au décès serait alors la période de croissance linéaire suivante, postérieure à la double-flèche. On obtient ainsi une période supplémentaire d’une semaine environ. C’est la pente de cette courbe quasiment linéaire qui est cruciale car elle justifie à elle-seule les mesures drastiques de confinement. En effet elle conditionne l’engorgement –ou non—des hôpitaux. Au vu des dernières informations faisant état pour la première fois d’un désengorgement des hôpitaux, on peut estimer que le confinement a atteint son but.
- C’est ensuite que la courbe de la mortalité commence légèrement à fléchir comme la conséquence des deux phases précédentes, ainsi que le montrent les cercles correspondant aux mortalités quotidiennes italiennes sur la figure 1 (à la date du 10 avril de la rédaction de cet article, on n’a pas encore atteint cette phase du fléchissement de la courbe en France, comme on le voit sur la figure 1). 

Un temps propre de l’épidémie

La similitude frappante des progressions initiales exponentielles de l’épidémie en France et en Italie, établie par rapport à la même courbe exponentielle (translatée seulement d’une dizaine de jours pour le cas de la France : pointillés), pose le problème suivant : le temps caractéristique T du démarrage de l’épidémie n’est-il pas pour cette épidémie un paramètre spécifique intrinsèque, et ce quelles que soient les conditions en temps et en lieu de sa propagation ? Les récents résultats publiés dans les médias confirment cette conjecture : les courbes de tous les pays atteints du Covid-19 sont effectivement initialement des exponentielles de pentes logarithmiques proches de Eq. (3) et définies par T ~ 3.8 jours. Compte-tenu du calcul de notre exponentielle qui a conduit en 1ère approximation au résultat (3), il semble raisonnable d’adopter une incertitude de l’ordre de 10% sur ce résultat, ce qui conduit à poser :

T ~ 4 jours ,  (4)

pour une première évaluation du temps propre de l’épidémie du Covid-19. 

On peut ainsi dire, pour faire œuvre de pédagogie et en prenant l’image des substance radioactives en physique nucléaire, que l’épidémie est définie par son temps caractéristique de croissance exponentielle T de la même façon qu’une substance radioactive est définie par son temps caractéristique de décroissance exponentielle (ou « demi-vie » ou « période » qui est par définition le temps τ au bout duquel la moitié des noyaux de cet isotope initialement présents se sont désintégrés). Ce qui est frappant dans cette comparaison –purement qualitative, j’insiste ! —  c’est la loi exponentielle particulièrement simple et dépendant d’un seul paramètre qui régirait ainsi les dynamiques de ces deux phénomènes fondamentaux. 

Ajoutons enfin que les résultats précédents ne laissent aucun doute : les données concernant la mortalité en Chine (N ~3300 décès annoncés) sont grossièrement fausses. En effet, la Chine a instauré un confinement drastique du même type que celui instauré en Italie (lors de l’arrivée du tsunami) et en France (avec une très légère avance sur cette arrivée : voir Figure 1). Dans ces 2 derniers cas pourtant fort différents, la croissance exponentielle de l’épidémie a obéi à la même définition du paramètre caractéristique T ~ 4 jours : cf. Eq. (4). Ce qui, sur une durée de plusieurs semaines de confinement, exclue complètement des mortalités comme celles annoncées en Chine. En effet, pour une période minimale de, disons, la période d’incubation : 16 jours = 4T et une mortalité initiale de, disons toujours, une centaine de décès dans une population totale ~ 1.4 milliards, cette mortalité de 100 est multipliée par e⁴ ~ 54.6 et atteint donc déjà 5460. 

Cet effet est par ailleurs parfaitement visible pour la France et l’Italie sur la figure 1.

L’effet « tsunami »

Puisque le temps caractéristique T de l’épidémie du Covid-19 semble être une constante qui lui est propre et, donc, indépendante des conditions de sa propagation, comment interviennent ces conditions (et en particulier celles, plus ou moins strictes, du confinement dans chaque pays) ?

La réponse réside dans le 2ème paramètre de l'exponentielle : son amplitude intrinsèque A définie par Eq. (1) du précédent papier. C'est ce paramètre qui régit le phénomène de propagation proprement dit : plus la propagation est faible (ex : par des mesures drastiques de confinement, une immunité collective importante, des effets saisonniers etc…) et plus A est petit (cf. Eq. (2a) du précédent papier). Le cas de la France est emblématique : la courbe exponentielle y est décalée d'une dizaine de jours par rapport à l'Italie. Donc le rapport entre le "A" italien = 5.5 10^(-13) et le "A" français est égal à          exp(-10/T) = 0.082. Donc l'exponentielle française serait toujours définie par T ~ 4 jours, mais A ~ [5.5 10^(-13)] [0.082] ~ 4.5  10^(-14) .  

Il y a une conséquence immédiate de cette propriété et qui peut concerner une hypothétique « seconde vague » : si le système est considéré comme un système fermé au sens physique du terme (conditions de propagation du virus pratiquement constantes ; pas ou très peu de perturbations extérieures), alors quelle que soit la valeur du A initial, aussi petite soit-elle, la phase que j'ai appelée dans le précédent papier, faute de mieux, la phase "explosive" arrivera tôt ou tard. La figure 2 illustre cet effet « tsunami ». Elle reproduit les mêmes fonctions exponentielles Eqs (1) & (2) déjà illustrées par la figure 1, mais en conservant toute la phase dite « plate », c’est-à-dire depuis t=0 pris au 1er janvier 2020 (ce que les récentes estimations confirment pour l’apparition du Covid-19 en Italie et peut-être même en France). 

On constate ainsi que plus A est faible, et plus la phase "explosive" exponentielle arrivera tard (ex: la France par rapport à l'Italie). C'est semble-t-il ce qui est en train de se passer à Singapour (début d'une phase "explosive" tardive à la suite des excellentes mesures de ralentissement de la propagation du virus prises très tôt : donc A très faible). Et en Suède, le pays joue le pari de l'immunité collective et n'a pas encore opté pour le confinement à l'heure actuelle : or la Suède se situe déjà à la limite de la phase « calme » de la figure 2, avec 870 décès à la date du 10 avril 2020 sur une population de 10 millions d’habitants ; ce qui fait un taux de mortalité de 0.009% (France : 0.02% et Italie : 0.03%). 

figure 2

Figure 2

Seul espoir pour éviter l’« explosion exponentielle » : que des perturbations (intérieures ou extérieures) stoppent le processus de propagation du virus dans sa phase encore « plate » (ex: auto-immunité importante de la population –ce qui semble être le cas du pari suédois—, cycle saisonnier de l'épidémie, etc…)

Conclusion

J’ai adopté jusqu’ici une analyse strictement objective et scientifique du phénomène de Covid-19 et j’ai tenté d’en tirer quelques conséquences expérimentales. Je conçois ce que ce dernier terme peut avoir de choquant, concernant une catastrophe sanitaire mondiale et les dizaines de milliers de morts qu’elle entraîne. Et pourtant, il n’y a pas d’autre approche pour tenter d’y voir clair et d’obtenir –pour ensuite les partager— des informations incontestables parce qu’objectives.

Je regrette à ce propos que lors de deux catastrophes sanitaires qui ont fortement ébranlé le pays ces dernières décennies (Tchernobyl & Covid-19), les conseillers médicaux du gouvernement se soient initialement affranchis de la réserve d’usage et de la vérité scientifique pour voler au secours de l’impéritie du gouvernement ; et ce probablement au nom d’une quelconque forme de raison d’Etat. Dans le premier cas, on en rit encore (les particules radioactives s’arrêtent aux frontières…). Dans le second cas, on en rit déjà (l’usage de masques de protection respiratoire dans la population est inutile : on se rappelle à ce propos l’inoubliable prestation de la porte-parole du gouvernement…)

Dans les deux cas, le mal est fait : la population doute. Ce papier est une bien modeste tentative pour contribuer à restaurer la confiance.

Contact :
Gilbert Reinisch : gilbert.reinisch@oca.eu