Une expérience de comptage des loups pourrait conduire à de nouvelles méthodologies en intelligence artificielle
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le 9 juin 2020
Au creux des arbres du Parc du Mercantour, se nichent pour un temps des pièges photographiques. Ils déclenchent à la détection de mouvement, dans l’espoir de prendre en flagrant délit de passage des loups et ainsi de décrire précisément les populations présentes sur le site. Mais le nombre d’images et de vidéos ainsi recueillies pour analyse représente déjà un stock considérable. C’est pourquoi un partenariat a été conclu avec l’institut 3IA Côte d’Azur et la Maison de la Modélisation, de la Simulation et des Interactions (MSI), afin de traiter les informations. Dans un premier temps, l’enjeu consistera à mettre en place des outils d’intelligence artificielle capables de détecter les loups dans la banque de données et de compter les espèces. La difficulté tient pour cette partie dans la variation des conditions d’acquisition des images. Les pièges peuvent en effet déclencher à toute heure, dans des conditions météorologiques étendues et avec un sujet immortalisé sous des angles et à des vitesses eux aussi variables. « La première question que nous avons posée à notre ingénieure de la MSI a été d’évaluer la difficulté du problème sur l’hétérogénéité et la rareté des images. Car des loups, dans le lot, il n’y en aura pas tant que ça… Notre a priori est que ça va être un problème plus difficile que les autres », explique le Pr. Charles Bouveyron, directeur scientifique adjoint de l’Institut 3IA Côte d’Azur, chef de l’équipe Inria MAASAI et détenteur d’une chaire en Intelligence Artificielle. Ce dernier titre lui permet de consacrer plus de temps et de moyens à la recherche en « apprentissage statistique sur données hétérogènes ».
Sur le volet « comptage et détection » du projet, la partie la plus appliquée de la recherche, l’équipe s’attend à mettre en place des outils devenus « classiques ». L’ingénieure mobilisée sur le partenariat devra modifier des réseaux d’algorithmes pré-entraînés à différencier un large éventail d’objets dans une très grosse base de données. Cette technique, où les scientifiques n’ont pas à créer une intelligence artificielle à partir de zéro, s’appelle le transfert learning. « En touchant seulement aux dernières couches du réseau, on va l’adapter très spécifiquement à notre situation », résume Charles Bouveyron. « Maintenant, on attend de savoir à quel niveau il va falloir qu’on se batte, en utilisant toutes les dernières technologies ou si un réseau de deep learning basique suffira. Ce qui nous inquiète ce n’est pas tant la détection mais surtout le comptage. Car on peut parfois avoir sur une séquence 26 chamois qui passent vite et pour certains de très loin », souligne le chercheur. Mais une fois les outils rendus opérationnels pour réaliser cette tâche, une recherche beaucoup plus théorique va pouvoir débuter. « L’aspect le plus ambitieux du projet, là où il y aura des développements méthodologiques et algorithmiques à faire, consistera à être capables de croiser les données spatio-temporelles sur le passage du loup avec toute une série d’autres informations pour réaliser une modélisation très large de l’activité d’une espèce (le loup) ou de plusieurs », développe Charles Bouveyron. En effet, les pièges photographiques permettent de savoir où et quand les images ont été prises mais les gardes du Parc du Mercantour réalisent aussi des relevés d’empreintes des animaux, équivalents à des indications GPS sur des morceaux de trajectoires des bêtes. Il détiennent par ailleurs de nombreuses analyses génétiques réalisées sur les proies et sur les déjections retrouvées dans le Parc. En intégrant toutes ces informations, il devient alors possible de tracer les animaux à titre individuel.
« Or, à ce jour, on n’a pas connaissance de méthodologies qui seraient capables de prendre en compte toutes ces caractéristiques. Ce qui est très attendu d’un point de vue théorique aujourd’hui en machine learning, en apprentissage statistique, c’est la capacité de gérer des données de différentes natures. Et là, on a l’image, la trace GPS et les données génétiques », se réjouit Charles Bouveyron. « J’aime bien travailler tiré par l’application mais en fait je sais en général que le problème que je formalise est beaucoup plus large. La méthodologie que nous proposerons ici pourra s’appliquer très largement », insiste le scientifique. Le projet recouvre ainsi deux des quatre axes de recherche de l’Institut 3IA Côte d’Azur : l’intelligence artificielle fondamentale et le développement de territoires intelligents et sécurisés. « Nous sommes sur quelque chose qui se situe en lien avec le territoire, d’applicatif, d’interdisciplinaire. Si le projet va à son terme dans de bonne conditions, ce que j’espère, on aura quelque chose de très original à montrer. À ma connaissance, nous serons un des seuls 3IA à réaliser un travail collaboratif avec un Parc national », souligne le directeur scientifique adjoint du 3IA Côte d’Azur, très motivé par le désir de « faire profiter à tous de l’Intelligence Artificielle ».