Un jeune sur trois exposé à la cyberviolence

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Publié le 18 novembre 2020

Les mécanismes sous-jacents aux mouvements de radicalisation anti-démocratique se trouvent-ils liés à une forme de cyberviolence? Dans une perspective de prévention, l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education de Nice a souhaité aborder cette question délicate et d'autres, à l’occasion d’un colloque international, organisé à Valrose les 23 et 24 janvier dernier.

Parce qu’il permet de franchir le seuil d’univers jusqu’alors lointains et parfois fantasmagoriques, Internet suscite maintes questions, y compris pour les chercheurs. Une de ces interrogations porte notamment sur l’existence d’une cyberviolence et sur ses conséquences. Le numérique a-t-il ses quartiers mal famés, ses hangars de contrebande intellectuelle, ses points de guet où repérer des agents infiltrés et ses cages d’escalier où recruter des âmes perdues? Sans les avoir délibérément consultées, la plupart des internautes ont en tête des vidéos de propagande djihadiste diffusées sur les réseaux sociaux. Comme il existe des « groupes » formés « pour rire » autour des photos de chats, des communautés se créent , elles, sur des idées anti-démocratiques. Dès lors, la radicalisation des groupes, comme celle des individus, se fait-elle en ligne? Et les mécanismes sous-jacents à ces mouvements se trouvent-ils liés à une forme de cyberviolence? L’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education de Nice a souhaité aborder ces questions délicates à l’occasion d’un colloque international, organisé à Valrose les 23 et 24 janvier dernier. 

Dans une perspective de prévention, plusieurs études menées ces derniers mois ont en effet cherché à savoir si les jeunes, premiers consommateurs d’Internet, constituaient une cible réelle et privilégiée d’attaques, susceptibles de les fragiliser et d’induire des comportements à risque. Les études ont considéré qu’un discours de haine pouvait se décrire comme un son, une vidéo, une image ou un texte susceptibles de créer un écart, « porteur d’intolérance », entre un « nous » et un « eux », distincts du point de vue de la « race, de la religion, de la nationalité, du pays ou de la langue », a expliqué Catherine Blaya, Professeure en Sciences de l’Education (ESPE Nice et laboratoire URMIS) et Présidente de l’Observatoire International de la Violence à l’École (OIVE). Avec son équipe, elle a mené une étude financée par le CNRS dans le cadre de l’appel à projets « attentats-recherche », en France, sur les régions PACA, Aquitaine et île-de-France. Les chercheurs ont interrogé 1587 élèves âgés de 11 à 18 ans, sans distinction sociale ou de genre. « Un tiers d’entre eux déclare avoir été exposé à un contenu haineux en ligne. La cyberviolence est donc loin d’être un fantasme », assure Catherine Blaya. 

Cela n’a rien d’étonnant en soit. Atte Oksanen, Professeur en psychologie sociale à l’université de Tampere, en Finlande, relève que l’anonymat associé au numérique facilitait déjà l’émergence d’insultes dans les années 80. « Il existe ainsi actuellement environ un millier de groupes haineux actifs aux USA. Les gens se comportent à l’image de Donald Trump, qui réagit sur les réseaux sociaux sans « filtrer » ses émotions », remarque le scientifique. D’après Catherine Blaya, le contexte des attentats semble néanmoins favoriser les attaques ciblant, par ordre décroissant, ceux désignés comme « musulmans », « arabes » et « immigrés ». « Entre 2013 et 2015, avec la recrudescence d’actes terroristes en Occident, les propos haineux semblent concerner davantage la nationalité, la religion et les points de vue politique, Auparavant, l’apparence physique ou l’orientation sexuelle constituaient les sujets dominants », confirme Atte Oksanen. Ces messages génèrent en retour des réactions, dans le même ordre et en majorité, de « colère, haine, honte, tristesse et humiliation », révèle la Présidente de l’OIVE. « Dans les moments d’incertitude politique et/ou économique, il se produit une identification plus forte à « son » groupe social, ce qui accroit la vulnérabilité », ajoute le chercheur en psychologie sociale. 

 

« Une faible confiance dans les institutions de proximité »

 

Ainsi, seulement 4% des victimes interrogées semblent en mesure de traiter la cyberviolence avec distance, en verbalisant de l’indifférence ou de l’amusement, quand 3% avouent ressentir de la peur. L’étude menée dans le cadre de l’appel à projets « attentats-recherche » permet  de dresser un profil assez fin des victimes. Les filles seraient davantage touchées et les cibles souffrent généralement de persécution aussi en dehors du monde numérique. En large proportion, elles sont également auteurs de contenus haineux. Enfin, les jeunes affichent presque tous « une faible confiance dans les institutions de proximité », donc implicitement en l’école. Les témoignages d’agresseurs révèlent que si le réseau social au célèbre logo bleu et blanc apparaît comme la scène de prédilection où observer la cyberviolence, le non moins connu site web d’hébergement de vidéos et les jeux en réseau exposent en outre fréquemment leurs usagers à la haine. En revanche, en frein aux idées reçues, la croyance religieuse ne semble pas en rapport avec les actes répréhensibles rapportés lors de l’étude. « Être déjà membre d’un groupe déviant, avec un leader, des signes de reconnaissance, des activités délinquantes, semble davantage corrélé avec l’implication des cibles et des auteurs dans des actes de cyberviolence », souligne Catherine Blaya. 

« Qui plus est, on vit dans un monde de plus en plus « petit » : si vous avez des idées radicales, vous avez de plus en plus de chances de « rencontrer » en ligne quelqu’un qui pense comme vous. La gestion des « profils » par les moteurs de recherche favorise en outre l’apparition de « bulles sociales » », analyse le Finlandais Atte Oksanen. Sonia Dayan-Herzbrun, Professeure émérite en sociologie politique et en études féministes à l’Université Paris Diderot, a tenté d’apporter un éclairage historique au phénomène de radicalisation. Elle s’appuie sur l’étude menée par Theodor Adorno en 1950 sur la « personnalité autoritaire », pour s’interroger de nouveau aujourd’hui sur les mécanismes d’adhésion de masse à toute idée anti-démocratique. Elle note ainsi le côté irrationnel des messages de haine, auxquels on ne peut pas répondre de façon rationnelle. « La stratégie vise avant tout à établir, au moyen de supports variés, une complicité entre les énonciateurs et les auditeurs, autour d’un ennemi déshumanisé qu’on ne peut que haïr », résume-t-elle. 

Wajdi Limam, doctorant à l’Université Paris 8 Saint-Denis, travaille sur le discours des tenants de la théorie du complot. Selon lui, une des difficultés à dépasser pour déconstruire les discours haineux tient d’une certaine forme de vide culturel observé dans les médias de masse. Car alors que les chantres de la théorie du complot surfent sur un discours scientiste et des références culturelles, intellectuelles, parfois correctement présentées, les médias de masse souffrent d’un « vide » dans ce domaine. Pour terminer, Catherine Blaya note que dans son étude, très peu de réactions adaptées ont été rapportées. Face à une cyber-attaque, comme un post haineux, plutôt que de faire une capture d’écran, les victimes effacent le message, bloquent l’expéditeur, ou répondent sur le même ton. Rachel Pollack Ichou, spécialiste adjointe du programme UNESCO « Division pour la liberté d’expression et le développement des médias », insiste ainsi sur l’importance de l’éducation aux médias pour faire face aux fausses « informations » disponibles sur la toile. Un MOOC dédié est par ailleurs accessible en France. De leur côté, Les hébergeurs, comme Facebook ou Google, ont incontestablement une part de responsabilité dans ce qui est mis en avant sur leurs interfaces.  Pourtant, lorsque Atte Oksanen a abordé cette question avec un représentant du réseau au logo bleu et blanc, en avril 2016, son interlocuteur n’a pas semblé concerné. « Facebook  traite délibérément les contenus haineux avec plus de légèreté  que ce qui touche à la sexualité », regrette-t-il.

Laurie CHIARA

 

 

Données personnelles sur Internet : quels usages, quelles craintes ? 

Quel sens donner aux « amitiés » inhérentes à l’adhésion aux réseaux sociaux? Sont-elles dignes de confiance? Bien des usagers ont déjà rencontré des situations de détournements de leurs données et d’agressions diverses, comme la publication de photos dénudées, l’envoi de messages haineux ou le « vol » d’un liste de contacts. Au sein de la communauté étudiante, ces phénomènes sont-ils craints ou tolérés? Quels comportements génèrent-ils? Pour le savoir, Violaine Hervy a interrogé les étudiants de l’Université Nice Sophia Antipolis. 

 

Quand on demande aux étudiants ce qu’ils postent sur les réseaux sociaux et ce qu’ils font d’internet, une tendance semble faire l’unanimité. La grande majorité des étudiants niçois ne poste pas grand-chose à l’exception de photos ou d’articles. Lucille, étudiante en 2ème année de Licence AES à l’ISEM le résume simplement  : « Je n’ai pas envie que les gens sachent ma vie ».

C’est face aux dangers de l’usage des données que les avis discordent. On observe deux profils bien distincts. Une première catégorie d’étudiant se dit très informée et inquiète des dangers liés à  l’usage des données, une autre ne se considère pas concernée.

Pour la première catégorie, la peur se distingue par des usages très consciencieux. « Je sécurise mes comptes au maximum. J’évite de poster ma vie privée et ce qui pourrait me causer préjudice. Evidemment je n’ajoute pas n’importe qui sur mes réseaux. » Irvin, étudiant en 1ère année d’histoire se la joue sécuritaire, très concerné il avoue avoir très peur des vols d’identité. Wallid, en Master 2 MBDS à Polytech, partage le même avis : « j’ai surtout peur qu’on me vole mes données bancaires et plus encore mes fichiers. ». Charlotte, en 2ème année d’histoire avoue sa peur première : « J’ai très peur qu’on me vole mon image et qu’on crée de faux-comptes »

A l’opposé, quelques étudiants ne se sentent pas concernés. Cuman, étudiante en 2ème année de LEA n’a pas peur  : « je ne vais pas tellement sur Facebook et j’utilise les applications chinoises. Elles sont très sécurisées ». Léa, en première année de médecine, a une vision à peu près similaire : « vu ce que je poste, je ne pense pas que ça me concerne ».

Face à ces deux profils, autant de conclusions s’observent. Les étudiants de l’université font généralement attention à l’utilisation de leurs données, mais ne sont pas tous conscients des dangers liés à leurs usages.