The Conversation : Quelle place pour l’Italie de Giorgia Meloni au sein de l’UE ?

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Publié le 5 septembre 2024 Mis à jour le 6 septembre 2024
Date(s)

du 7 septembre 2024 au 31 décembre 2024

Rapports entre la politique italienne de Giorgia Meloni et l'Union Européenne

En choisissant de ne pas soutenir la Commission d’Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni renonce à exercer une influence immédiate sur la prochaine Commission, qui bénéficie en revanche de l’appui d’Emmanuel Macron. Dati Bendo/European Union, 2023/EC - Audiovisual Service, CC BY-NC
 

Alors qu’au cours des mois précédant les élections européennes, le rapprochement entre la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait été très remarqué, le 18 juillet, les députés européens de Fratelli d’Italia (le parti de Giorgia Meloni) ont voté contre la reconduction d’Ursula von der Leyen à son poste.

Cette décision, qui est justifiée par le refus de soutenir la continuité du New Green Deal, a été analysée comme un signe de l’isolement de la responsable de l’exécutif italien, qui ne serait pas en mesure de peser sur le jeu politique européen. Elle indiquerait une inflexion par rapport à la politique que Mme Meloni avait conduite après son élection en 2022, cultivant si ce n’est une proximité, tout au moins un dialogue soutenu avec Ursula von der Leyen.

Qu’en est-il concrètement ?

Depuis l’arrivée au pouvoir, une politique conciliante vis-à-vis de l’UE

La coalition de droite italienne emmenée par Mme Meloni avait, depuis son arrivée aux affaires à l’automne 2022 choisi une voie de modération en matière européenne, s’éloignant des revendications patriotiques du programme présenté aux législatives qui insistait sur la souveraineté nationale, pour pratiquer une approche plus conciliante.

La nomination d’Antonio Tajani comme ministre des Affaires étrangères avait alors représenté un signe fort : le secrétaire national de Forza Italia, qui a exercé de 2017 à 2019 les fonctions de président du Parlement européen après avoir occupé deux postes de commissaire européen, est rompu aux arcanes bruxellois et représente également un pont avec le Parti populaire européen (PPE), dont sa formation est membre. La direction de la politique étrangère italienne avait donc été confiée à un européiste. De fait, cette nomination, et l’action d’Antonio Tajani, doivent pousser à une lecture composite de l’action internationale du gouvernement italien, qui ne peut être assimilée aux seules postures de Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni.

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Et ce d’autant plus que Forza Italia, le membre centriste de la coalition de droite en Italie, se présente comme le garant d’une politique internationale qui s’inscrit dans la continuité des choix européens et atlantistes de la République italienne, suivant le sillon historique tracé par l’ancienne Démocratie chrétienne et sa figure tutélaire Alcide De Gasperi, évoquée de façon récurrente.

À l’autre extrême de la coalition italienne, la Lega, le parti de Matteo Salvini, se cantonne depuis les élections européennes de 2019 dans une dénonciation des orientations décidées par la Commission européenne qui l’a vu s’associer au Rassemblement national français pour militer au sein du groupe Identité et Démocratie, une formation récemment transformée en Patriotes pour l’Europe. Ce choix de la Lega est synonyme, pour ce parti, d’isolement au sein des institutions européennes, et donc d’une exclusion des jeux politiques communautaires.

La présentation du positionnement européen des partis membres de la coalition italienne fournit deux types d’indications : tout d’abord, la coexistence de positions parfois contradictoires au sein de la coalition, mais aussi l’amplitude du champ politique qui place Fratelli d’Italia (qui siège, au Parlement européen, au sein des Conservateurs et réformateurs européens, le parti le plus proche du centre parmi ceux classés dans la catégorie de la droite radicale) au centre d’un espace qui va de l’européisme au souverainisme. Relever ce bornage européen permet de mieux comprendre des oscillations qui obéissent également aux enjeux internes de l’actuelle majorité en Italie.

Ce panorama permet également de poser une question fondamentale : celle des déterminants d’une politique étrangère italienne qui a souvent été considérée comme bipartisane, c’est-à-dire s’imposant aux différentes coalitions, qu’elles soient de droite comme de gauche.

Les traditions de la politique étrangère italienne au prisme de la relation avec la France

La politique étrangère italienne se décline traditionnellement suivant trois axes : intégration européenne, alliance atlantique et projection bilatérale vers le Sud dans le cadre méditerranéen. Ce triptyque n’a jamais été remis en cause par les différents exécutifs de la république italienne, et ce même lorsque l’Italie a connu l’alternance droite/gauche après 1994. On a bien observé les tendances prorusses et prochinoises à l’œuvre lors du gouvernement populiste de Giuseppe Conte en 2018, mais ces velléités d’une géopolitique autonome venaient s’ajouter au cadre traditionnel de la politique étrangère et non pas s’y substituer.

Il convient donc d’élargir le spectre d’observation pour évaluer l’état actuel des relations entre l’Italie et l’Union européenne. Le cas des relations franco-italiennes permet de mieux éclairer ces mobilisations.

Le Traité du Quirinal, signé en 2021 alors que Mario Draghi était président du Conseil, a comme objectif d’institutionnaliser et de renforcer les relations bilatérales entre la France et l’Italie. Ce mécanisme institutionnel intervient après une série de crises répétées et se place dans une optique de développement des convergences européennes. Il avait été critiqué par la Lega et Fratelli d’Italia lors de la signature en 2021, et Fratelli d’Italia s’était exprimé contre la ratification lors d’un vote à la Chambre des députés en mai 2022 en dénonçant l’opacité des négociations relatives à ce Traité. Cependant, lors des phases successives, le texte a été approuvé par les différentes assemblées et on relèvera, à droite, le rôle pilote de Forza Italia qui a réussi à entraîner Fratelli d’Italia et Lega, avec une mobilisation au Sénat, au sein duquel on note l’action de la présidente de la Commission affaires étrangères Stefania Craxi.

Le traité du Quirinal, entré en pleinement en vigueur en 2023, produit des effets positifs : les boucles de coopération institutionnelles entre les ministères français et italiens se sont installées, une feuille de route est établie sous la coordination des secrétaires généraux des ministères des Affaires étrangères, les rencontres périodiques s’effectuent. Le Traité a également un effet d’attraction et de valorisation pour des initiatives bilatérales qui, sans ce cadre, auraient pu apparaître comme ponctuelles.

Le mécanisme, bien connu dans le cadre franco-allemand, des bénéfices de l’institutionnalisation des rapports bilatéraux est à l’œuvre dans le cas franco-italien, et ce même avec des ministres italiens de droite qui ont pu se montrer par le passé critiques à l’égard de la France.

Ces progrès concrets ne doivent pas faire oublier les difficultés de dialogue entre Emmanuel Macron et Giorgia Meloni, qui représentent un handicap au sommet : depuis l’arrivée au pouvoir de la cheffe du gouvernement italien, on relève une absence de communication privilégiée qui peut apparaître comme un véritable blocage. Il faut par exemple rappeler le sommet du G7 organisé en juin dernier en Italie dans les Pouilles, une rencontre au cours de laquelle aucune rencontre bilatérale n’a eu lieu entre Giorgia Meloni et Emmanuel Macron.

À ce sujet, les interprétations sur les relations personnelles et les motivations politiques entre les deux leaders divergent. Ainsi se pose une nouvelle fois en Italie la question de l’efficacité d’un pays qui n’arrive pas à établir un dialogue avec les poids lourds de la politique européenne, France et Allemagne et tête. En France, les questions de définitions partisanes qui occupent le devant de la scène dans le contexte post-législatives phagocytent le débat, et le processus lent de nomination d’un nouvel exécutif engendre une certaine passivité dans les cadres internationaux. L’Europe montre des fragilités. Même si les élections au Parlement européen ont confirmé la coalition déjà en place, on relève la délicatesse du cadre international actuel (Ukraine, Moyen-Orient, États-Unis) mais aussi les difficultés de se projeter avec un exécutif allemand qui est, lui aussi, affaibli.

Une voix singulière au sein de l’UE

Le gouvernement Meloni s’est distingué par un certain activisme en matière de politique internationale : le « plan Mattei » est une initiative qui structure la politique de Rome à l’égard de l’Afrique en dialogue avec la dimension européenne, et le récent déplacement de Giorgia Meloni en Chine lui a permis de renouer avec la traditionnelle politique chinoise de l’Italie, dont Romano Prodi a longtemps été le chantre, et qui met au centre de ses objectifs le renforcement de la coopération économique et des échanges – une dimension que l’on retrouvait également en France et en Allemagne avant le Covid.

L’Italie, qui est sortie de l’accord des « Nouvelles routes de la soie » en décembre 2023, semble à nouveau rechercher des marges de développement dans ce rapport bilatéral. Cela pose bien sûr la question de la mesure de ce revirement, et de sa compatibilité avec les politiques de l’Union qui cherchent à se défaire d’une certaine naïveté dans la politique commerciale, en particulier à l’égard de la Chine.

La perception d’isolement du gouvernement italien en Europe peut également contribuer à ces velléités de recherche d’espaces autonomes hors de l’Union. En tout état de cause, l’analyse du positionnement de l’Italie en Europe, mais aussi de celui des pays européens à l’égard de l’Italie ne peut se départir d’une vision à long terme. L’existence d’un débat partisan intra-européen dans lequel tel ou tel parti français se positionne vis-à-vis d’un parti italien, et vice versa, ne doit pas faire perdre de vue la nécessité de bien comprendre que les politiques conduites par les gouvernements italiens sont loin de se réduire aux positions traditionnelles des partis au pouvoir.The Conversation

Jean-Pierre Darnis, Professeur des Universités, directeur du master en relations franco-italiennes, Université Côte d'Azur, Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS, Paris), professeur et membre du CISS de l'université LUISS de Rome, Université Côte d’Azur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
 

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