The Conversation : Conjuguer entrepreneuriat et salariat, le pari des coopératives d’activités et d’emploi

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Publié le 10 janvier 2025 Mis à jour le 10 janvier 2025
Date(s)

du 10 janvier 2025 au 1 juillet 2025

Dans un contexte actuel de chômage de masse et de crise multidimensionnelle, les coopératives d’activités et d’emploi (CAE) proposent de révolutionner le rapport au travail et la conception de l’entrepreneuriat, avec un ancrage dans l’économie sociale et solidaire.

L’entrepreneuriat et le salariat sont souvent considérés comme deux régimes bien distincts. Le premier est d’ailleurs de plus en plus plébiscité en tant qu’alternative au second, dans un contexte économique en berne et dans la perspective d’activer de nouveaux leviers de création de valeur économique et d’intégration sociale. Pourtant, ces deux régimes peuvent coexister dans le cadre d’un seul et même statut : celui d’entrepreneur salarié associé (ESA). Il permet à des entrepreneurs l’accès à un statut de salarié en CDI, avec une rémunération calculée à partir du chiffre d’affaires, mais versée en salaire en prenant en compte les cotisations sociales, patronales et salariales.

Proposé par les coopératives d’activités et d’emplois (CAE), ce statut s’appréhende de deux façons. C’est à la fois un outil de sécurisation de l’entrepreneur – bénéficiant ainsi des avantages sociaux du régime salarial – et un vecteur d’appartenance à un projet collectif et politique – celui de l’économie sociale et solidaire. La tendance des CAE à s’inscrire de manière plus ou moins marquée sur chacune de ces deux logiques entraîne une hétérogénéité considérable de coopératives.

L’entrepreneur en devenir a alors tout intérêt à bien identifier au préalable ce qu’il recherche dans l’intégration d’une CAE : est-ce le confort de la délégation de la gestion ? Le statut de salarié et ses avantages sociaux ? Cherche-t-il de la cohésion au sein d’une équipe de pairs entrepreneurs avec qui échanger ? Envisage-t-il la CAE comme un projet engagé et alternatif qui réinvente le rapport au travail ?

160 CAE en France et près de 12 000 entrepreneurs salariés

Inspirées du modèle des entreprises partagées par leurs salariés et consacrées par la loi de 2014 sur l’économie sociale et solidaire (ESS), les CAE émergent dans les années 1990 comme une forme hybride d’entrepreneuriat et de salariat. Aujourd’hui, on en recense environ 160 sur l’ensemble de la France. Elles offrent le statut social de salarié en CDI à des travailleurs autonomes et indépendants, qui vont mener leur activité entrepreneuriale propre, mais facturer au nom de la CAE. Elles prennent des formes et des orientations variées : de 5 à plus de 500 coopérateurs, spécialisées dans un domaine ou généralistes, offrant des moments et des projets partagés, etc. Cependant, elles revendiquent toutes l’adhésion à un projet coopératif.

Chaque CAE possède un fonctionnement singulier et unique, mais toutes se basent sur trois piliers fondamentaux : l’autonomie de l’entrepreneuriat, la sécurité du salariat et le partage des fonctions supports. Souvent confondue avec le portage salarial, la CAE revendique pourtant fermement ses spécificités et s’en distingue par son projet politique interne, qui se traduit par une gouvernance participative et démocratique. En effet, toutes les CAE sont des SCOP (société coopérative de production) ou des SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) sur le plan juridique. Elles ont en commun le principe « une personne, une voix » qui remplace le principe « une action, une voix » propre aux entreprises capitalistes.

Trajectoire d’un entrepreneur d’une CAE

La trajectoire classique d’un entrepreneur en CAE prend la forme suivante. Sans jamais devoir s’immatriculer en tant qu’indépendant, il passe par une première phase de test de projet entrepreneurial à travers un contrat CAPE (contrat d’appui au projet d’entreprise). Une fois son parcours sécurisé et son chiffre d’affaires stabilisé, la CAE lui propose de devenir salarié de la structure. Sa rémunération est définie par son chiffre d’affaires qui couvre à la fois ses frais professionnels, son salaire net avec les charges liées à ce dernier (patronales et salariales), ainsi qu’une contribution forfaitaire à la gestion mutualisée. Puis, au bout de 3 ans maximum, elle lui propose le statut d’associé de la CAE en prenant une part de la SCOP et en devenant coopérateur, engagé dans les décisions de gestion de l’entreprise.

La littérature identifie trois générations de CAE en soulignant l’importance progressive de la dimension coopérative et politique. Tandis que la première génération apparaît comme l’ancêtre des couveuses et vise à sécuriser les entrepreneurs dans un cadre collectif, la seconde propose un projet de mutualisation d’une entreprise partagée. Enfin, la troisième génération, avatar le plus abouti des CAE, est présentée comme une véritable mutuelle de travail, moteur de multiples coopérations croisées. Les auteurs soulignent toutefois que bon nombre de CAE se situent toujours dans le paradigme de la première génération et ne parviennent pas à opérer la « révolution culturelle » nécessaire pour basculer vers les seconde et troisième générations.

Le défi des CAE : trouver leur public

Sur le papier, les CAE semblent donc réunir le meilleur des deux mondes entre autonomie de l’entrepreneuriat et protection sociale du salariat. Même si ce constat est partagé par la plupart des coopérateurs, le projet même de la CAE ne convient pas à tout le monde.

Dans un travail en cours, nous identifions des tensions palpables entre projets individuels et projet collectif. La notion d’entreprise partagée, et donc de délégation de pouvoir, freine en effet certains entrepreneurs pour qui, culturellement, ce statut signifie d’être le seul maître à bord. À l’inverse, certains coopérateurs, très friands de la notion de mutualisation et de partage, ne se retrouvent pas forcément sous la casquette de l’entrepreneur autonome qui travaille souvent seul au quotidien. Ces deuxièmes profils ont alors souvent tendance à retourner vers un salariat classique, là où les premiers finissent souvent par quitter la CAE pour créer leur propre structure. Alors que certains entrepreneurs salariés revendiquent le caractère politique et acapitaliste du projet de CAE, d’autres ne l’envisagent pas du tout et ne l’expriment pas comme tels.


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Certaines CAE et notamment celles de première génération, sont, au même titre que beaucoup d’organisations de l’ESS, sujettes à un phénomène de banalisation. Ces CAE, souvent généralistes et territorialement étendues, semblent répondre davantage à des logiques marchandes et capitalistes et s’éloignent parfois de leur vocation politique. Cela se traduit notamment par la mise en avant des avantages pécuniaires et logistiques de la CAE auprès des entrepreneurs entrants, en réduisant la gouvernance participative à un simple vote annuel en assemblée générale.

Afin d’éviter ce phénomène de banalisation, certains travaux soulignent la nécessité de développer au sein de chaque CAE une « école de la coopération » pour socialiser les membres à la logique politique et garantir l’authenticité du projet partagé. Et c’est là tout l’enjeu des CAE aujourd’hui qui tentent de créer des communautés d’indépendant. Ces SCOP se voient souvent rattrapées par une logique de rentabilité individuelle de l’entrepreneur, tout en essayant de défendre un projet collectif. L’équilibre entre individualité et communauté dans les CAE est délicat et peine parfois à conjuguer deux paradigmes qui semblent antinomiques.


Cet article a été co-écrit avec Marie-Mathilde Basile, cogérante d’Acticop, coopérative d’activités et d’emploi dans les Alpes-Maritimes.The Conversation

Céline Bourbousson, Maitresse de conférences en sciences de gestion, Chercheuse au GREDEG (Université Côte d’AzurCNRS, INRAE)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
 

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