le 17 avril 2020
La question du déconfinement, qui demeure relativement floue dans sa temporalité et ses modalités, soulève la question d'une possible immunisation contre le virus qui sévit actuellement. Cecil Czerkinsky, directeur de recherche INSERM (1), travaille avec Philippe Blancou, Professeur d’immunologie et de Virologie, au sein de l'équipe du Pr. Nicolas Glaichenhaus à l'IPMC et en étroite collaboration avec le CHU de Nice, sur les spécificités de la réponse immunitaire au virus SARS-CoV-2. Il nous explique où en sont les connaissances des chercheurs et quelles perspectives se dessinent pour espérer développer une immunité contre la maladie. L'équipe a déjà répondu à trois appels à projet dédiés au COVID-19.
Des études montrent des différences conséquentes dans la réponse immunitaire des patients ayant été hospitalisés avec le covid-19. Comment cela peut-il s'expliquer, qu'est-ce qui fait que certains semblent ensuite immunisés et d'autres pas ? S'agit-il d'un phénomène fréquent au contact des maladies virales ?
En règle générale, la réponse immunitaire à un virus évolue en 2 grandes phases : d’abord une phase précoce, caractérisée par le développement d’une inflammation à l’endroit où le virus entre et se multiplie ; cette réaction est éminemment bénéfique car elle peut en elle-même neutraliser ou tuer le virus, mais sans pour autant protéger l’individu contre une réinfection. Cette réaction inflammatoire est médiée par des molécules appelées cytokines, dont la production est régulée et est donc transitoire. Chez certains patients, cette réaction inflammatoire est excessive. Elle persiste et est donc mal contrôlée et peut conduire non seulement à la destruction du virus mais aussi à celle des tissus dans lesquels ce virus se multiplie. C’est un peu comme si vous lanciez un missile exocet pour tuer un cafard dans votre évier de cuisine : vous tuerez le cafard certes, mais vous n’aurez plus d’évier, voire plus de cuisine ou même de maison. C’est-ce qu’on appelle le « cytokine storm » c’est-à-dire « l’orage de cytokines ».
Vient alors la deuxième phase de la réponse immunitaire. Elle est caractérisée par la production d’anticorps et de cellules tueuses, capables de neutraliser le virus ; cette réponse met plus ou moins de temps - quelques jours à quelques semaines- pour se développer et peut persister plusieurs mois voire plusieurs et même de nombreuses années. C’est cette réponse que les vaccins cherchent a stimuler préférentiellement.
Cela nous amène a la deuxième partie de votre question : qu'est-ce qui fait que certains malades semblent ensuite immunisés et d'autres pas ? S'agit-il d'un phénomène fréquent au contact des maladies virales ?
On peut considérer deux possibilités parmi d’autres :
- L’immunisation serait dépendante de la charge virale à laquelle l’individu est exposé et varie donc d’un individu à un autre : plus la charge sera faible et moins la dose immunogenique (la dose minimale de virus pour induire une réponse immune) sera suffisante et vice versa. Avec cette hypothèse, plus un individu aura de contacts plus il aura de chance de contracter une dose immunisante. Une dose trop forte pourrait par contre favoriser la progression vers l’infection sévère. Voila la principale complication ou dilemme auquel sont confrontées les autorités sanitaires. On peut comprendre que ce problème soit l’un des plus débattables, en témoignent les différences de stratégies de contrôle opérées par différents pays au sein d’un même continent…
- Sans exclure la possibilité précédente (charge virale) il existe des gènes, relativement bien caractérisés, associés a une bonne réponse immunitaire adaptative, c’est-à-dire à celle de la deuxième phase, impliquant la production d’anticorps et la génération de cellules tueuses. De la même manière, il existe d’autres gènes qui contrôlent la production de substances inflammatoires impliquées dans la première phase de la réponse immunitaire, c’est-à-dire la phase inflammatoire. On connait d’ailleurs précisément certains des gènes associés a une prédisposition ou à une susceptibilité à certaines maladies chroniques inflammatoires telles que l’arthrite rhumatoïde, le lupus, ou la sarcoïdose. Cette dernière étant d’ailleurs caractérisée par une atteinte préférentielle des poumons, liée à une hyperproduction chronique de cytokines inflammatoires.
Ces différent gènes pourraient - en tout cas en partie- expliquer pourquoi certains malades semblent immunisés et d’autres moins, voire pas du tout.
J’aimerais toutefois insister sur une notion importante à garder à l’esprit : être immunisé ne veut pas dire forcément être protégé ou « vacciné ». Avoir des anticorps dans le sang - ce que révèle la sérologie – indique simplement que vous avez rencontré le virus, sans préciser quand, mais ne vous indique pas que ces anticorps vous protègent. D’ailleurs, il est utile de rappeler que ces anticorps sanguins n’apparaissent que relativement tard après une infection au covid19, ce qui est un peu surprenant par rapport au virus du SRAS ou à celui du MERS et à d’autres virus respiratoires (RSV, adenovirus, virus de la grippe). Notons toutefois que des résultats encourageants ont été reportés en Chine, en Corée et en Italie par injection de plasma (la substance qui contient les anticorps sériques) provenant de patients convalescents à des patients présentant une forme sévère du covid-19.
Malgré tout, la séroprévalence du covid19 – c’est-à-dire la proportion de sujets ayant développé des anticorps sanguins contre le virus - semble décevante sur la base des données de la Corée du sud et celles plus récentes d’Italie qui ont effectué les plus larges tests sérologiques en population générale (séroconversion ou séropositivité < 20% dans des ex-zones clusters qu’on peut présumer plus exposées et donc où on s’attendrait à une plus forte densité de sujets immunisés). Ceci est décevant car les tests sérologiques ont suscité beaucoup d’espoir comme outils de régulation ou de guidage dans les stratégies de déconfinement sélectif.
La réponse immunitaire de l'organisme humain dépend-t-elle de l'intensité des symptômes produits par la maladie ?
C’est plutôt l’intensité des symptômes qui dépend du type et de l’intensité de la réponse immunitaire. Par analogie avec d’autres infections virales comme la grippe ou le MERS, une réponse immunitaire précoce et orientée vers la production d’anticorps neutralisant le virus est associée à une élimination plus rapide du virus et à une protection contre la maladie sévère voire contre la ré-infection.
De la même manière, une réponse immunitaire inflammatoire exagérée favorisera l’apparition de symptômes plus sévères et ce d’autant plus qu’elle sera intense et persistera plus longtemps.
La nature de la réponse immunitaire induite par le virus du covid-19 est mal connue car il s’agit d’un virus tout nouveau et qui semble avoir des caractéristiques de réplication et de transmission particulières ; ce virus ne cause pratiquement pas de virémie – c’est-à-dire n’est pas détectable dans le sang – mais infecte la muqueuse respiratoire et d’autres territoires muqueux (muqueuse gastro-intestinale, conjonctive de l’œil). Or, la réponse immune au niveau muqueux est fondamentalement différente de la réponse sanguine que les tests sérologiques mesurent. Elle n’est pas mesurable par ces tests et par conséquent n’est pas connue a ce jour. Sachant que le virus du covid-19 se réplique essentiellement, sinon exclusivement, au niveau des muqueuses, il est fort probable que la réponse muqueuse à anticorps joue un rôle dans la protection et/ou la transmission interindividuelle du virus, qui est également strictement muqueuse. C’est la raison pour laquelle nous avons pris l’initiative avec nos collaborateurs, le Dr Sylvie Leroy et le Prof Charles-Hugo Marquette, du service de Pneumologie du CHU de Nice, et nos partenaires d’autres centres hospitaliers régionaux, d’explorer les caractéristiques de la réponse immune muqueuse et notamment de la réponse muqueuse immune respiratoire chez les patients Covid-19 symptomatiques et leurs contacts asymptomatiques. La mesure de ces réponses immunitaires muqueuses pourrait déboucher sur la mise au point d’un nouveau test, dont nous souhaitons évaluer la performance et l’utilité programmatique dans les prochaines semaines.
Pourquoi les individus asymptomatiques seraient-ils peu ou pas contagieux ? La contagiosité d'un virus dépend-t-elle de l'hôte qui l'héberge ou est-elle intrinsèque au virus ?
À ma connaissance, il n’existe pas de preuve qu’un individu asymptomatique infecté serait peu ou pas contagieux. C’est d’ailleurs plutôt le contraire et c’est la principale raison qui fait que cette épidémie soit si insidieuse et se soit développée aussi rapidement, prenant la forme d’une véritable pandémie affectant hémisphères Nord et Sud (donc apparemment indépendamment des conditions climatiques). La contagiosité du virus est beaucoup plus importante que celle du virus de la grippe (environ 2 a 2,5 supérieure), Du virus Ebola (1,5 fois supérieure) mais plus faible que celle du MERS et considérablement plus faible que celle du virus de la rougeole (50 fois moindre).
La contagiosité dépend avant tout du virus et elle est déterminée par un facteur « R0 ». Ce facteur R0 n’a pas une valeur fixe et peut décroitre avec les mesures barrières et celles de confinement. Le R0 peut également augmenter en fonction de la charge virale à laquelle sont exposés les individus et donc du nombre de contacts ; c’est particulièrement le cas des personnels soignants intubant de façon prolongée des patients sévèrement infectés et dans un espace de soins restreint, où la densité du virus en suspension est bien supérieure à celle de l’environnement extérieur ;
Qu'est-ce que l'immunité collective ? Est-elle systématique après un temps variable de contamination « libre » au sein d'une population ? Ce « mécanisme » s'applique-t-t-il aux épidémies saisonnières de grippes ou de gastroentérite par exemple ?
L’immunité collective ou « herd immunity » est un phénomène bien connu du monde vétérinaire et qui a reçu un intérêt et un essor particulier dans la communauté des vaccinologistes et des épidémiologistes infectiologues au cours des 15 dernières années.
Il s’agit d’une forme d’immunité indirecte (« indirect protection ») c’est-à-dire qu’elle cible des personnes non immunisées ou non vaccinées au sein d’une population dont une partie des individus a été immunisée/vaccinée et ce phénomène a une dimension géographique, puisqu’elle n’est en pratique mesurée qu’a l’intérieur d’une population géographiquement homogène ou « cluster ». Elle s’applique aux maladies transmissibles dont le mode de contamination est en général non-invasif, par exemple oro-fécal (infections enteriques), aérien (tuberculose, coqueluche, rougeole, grippe, SRAS etc), cutanéo-muqueux (MST entre autres). Elle suppose en général qu’un nombre suffisant d’individus soit immunisé ou vacciné et ce nombre est très variable en fonction de l’agent infectieux impliqué et de l’efficacité directe (« direct protection ») du vaccin ou du pouvoir immunisant de l’infection au niveau d’un individu donné. Dans le cas du covid-19, on ne connait absolument pas à ce stade le seuil minimal pour obtenir une immunité collective efficace ni les mécanismes impliqués dans la protection immune après infection et guérison. Il n’y a pas de vaccin et seule la réponse sérologique aux anticorps commence à être un peu mieux caractérisée. Les tests sérologiques qui mesurent les taux d’anticorps sériques (sanguins) permettent de savoir si un individu asymptomatique a été infecté mais ne peuvent pas dire si cet individu est protégé. Les données préliminaires coréennes et italiennes indiquent d’ailleurs que cette réponse sérologique est relativement tardive. Sur la base de ces données et sur celle de données récentes indiquant une fréquence assez faible (1-6% en Corée du sud où le premier foyer épidémique s’est déclaré au moment du nouvel an lunaire, soit il y a plus de 10 semaines) d’individus infectés en population normale, il semblerait que nous soyions assez loin d’atteindre le seuil nécessaire pour parler d’immunité collective.
Quelle serait la façon la plus fiable de doser la contagiosité et l'immunité des individus au sein d'une population ?
En général l’immunité collective se mesure par des études dites » cluster randomized » ( randomisées par foyer épidémique ), où l’on mesure l’incidence de l’infection dans un foyer épidémique et la progression de cette incidence dans le même foyer et on la compare à la dynamique de l’incidence de cette infection en population générale hors cluster ou foyer. Problème : il faut des tests et beaucoup de tests car ce type d’étude nécessite un grand nombre d’individus… pour l’instant seuls la Corée, l’Allemagne et plus récemment les Etats-Unis et l’Italie conduisent des tests de détection du virus à grande échelle.
(1) Cecil Czerkinsky est également l'ancien Directeur Général Adjoint et Chef de la Division R&D de l'International Vaccine Institute, organisme créé sous les auspices de l'ONU