le 3 avril 2020
Le confinement, décidé pour réduire la mortalité liée à l'infection au COVID-19, nous affecte à des degrés divers.
Par le Pr André Quaderi, Co Responsable parcours Master Psychologie clinique intégrative et vieillissement. Membre Equipe pédagogique Master Psychologie clinique, Vulnérabilités et Développement du Psychotraumatisme. CoBTeK Lab (andre.quaderi@univ-cotedazur.fr)
Le confinement entraîne une perte de repères temporels liés à la vie en un lieu unique et à une réduction des activités et des interactions possibles. Quelles conséquences cela a en particulier sur les personnes atteintes de troubles cognitifs ?
En réalité c’est un bienfait dans les cas sévères. Du fait de l’altération de sa capacité d’attention, le sujet a du mal avec les stimulations trop fortes. Réduire ces stimulations c’est au contraire un axe majeur du soin, en réduisant les effets de surprises. Après quelques jours de confinement et les changements des habitudes, les nouvelles normes de fonctionnement de l’environnement confiné peuvent, au contraire de ce qu’on pourrait imaginer, limiter l’agitation. Attention, ceci n’est valable que dans les cas de détériorations sévères.
La peur véhiculée par les images de morts, l’instauration soudaine de l’état d’urgence sanitaire et la perception de soi et de l’autre comme un danger potentiel peuvent-ils réveiller des angoisses ou d’autres émotions apparentées chez des personnes ayant souffert ou souffrant toujours de traumatismes psychologiques ?
Oui la peur véhiculée par l’image des morts, le confinement et la peur ambiante peuvent être des déclencheurs négatifs, des signaux d’alarmes de traumatisme ancien. Les victimes de traumatismes anciens peuvent voir cet état d’urgence comme une menace mortelle.
Quelles peuvent être les conséquences du confinement chez les claustrophobes ? Des dispositifs ont-ils été prévus pour accompagner les personnes concernées ?
La ville de Nice avec les CHU et Université Côte d’Azur ont organisé « un allô psy confinement » pour justement briser l’isolement et apporter une écoute et des outils de gestion des angoisses. C’est une évidence que ce confinement (et son arrêt) provoque et provoqueront des désordres psychologiques. Nous n’avons que peu de moyen d’en comprendre les contours.
Une personne violente présente-t-elle un risque accru de passer à l’acte dans le contexte actuel ?
Oui et c’est malheureusement une certitude. Le pire est bien évidement la hausse attendue des violences sur enfants et sur les femmes. Le confinement provoquant une zone de non loi. C’est extrêmement préoccupant et nous sommes loin d’en mesurer le prix.
L’isolement, chez des personnes dépressives, est-il dangereux ?
Oui sans conteste la dépression peut très vite glisser vers des idées noires en temps normal. Ce qui empêche ce glissement c’est justement ce qui est exclu par le confinement : la vie, les autres, les stimulations que certains appellent consumérisme et qui sont simplement des stimulations et des recharges (qu’on le veuille ou non, qu’on le regrette) de dopamine. Cet isolement peut toutefois permettre de se recentrer sur l’essentiel et au contraire de travailler sur ses valeurs et de réévaluer ses besoins, un peu comme nous l’enseigne Diogène.
Le confinement invite à investir encore davantage les réseaux sociaux. Quels effets ces derniers ont-ils sur l’estime de soi, la perception de la réalité et notre capacité à dialoguer et à raisonner avec l’autre ?
C’est une excellente question à laquelle on ne peut vraiment pas répondre de façon complète. Les réseaux sociaux ne sont pas une nouveauté sur un point: les relations communautaires existent depuis la nuit des temps: le clan, le groupe, la famille, la cité. Il suffit d’avoir vécu dans un petit village pour comprendre que Facebook c’était la boulangère, le garde champêtre etc. Ce qui change c’est la rapidité et le nombre des dires véhiculés. C’est important car si cela n’impacte pas la nature de ce qui est véhiculé (les commérages s’appellent aujourd’hui les « fake news » ) cela intensifie la propagation. La nature du dispositif d’information induit effectivement un effet sur le nombre de ceux qui la lisent et la transforment en la relayant. Donc oui la perception de la réalité est tronquée mais même cela est à nuancer. En effet, les réseaux sociaux c’est l’entre-soi indigeste : on lit ce qui nous ressemble et nous rassemble. Le réseau social n’est pas en réalité une connexion avec le monde mais avec le même. En ce sens on cherche à avoir raison et pour cela à dénaturer l’information, complexe, en segments que nous nous approprions. Nous sommes sur le chemin de la bibliothèque de Borges, ou celle décrite par Eco. Toutefois, nous sommes dans un présent qui n’est que le brouillon de notre futur. Je reste persuadé que cette connectivité sera un large bienfait pour l’humanité (ce qui est le cas avec la connaissance partagée).
Les mesures sanitaires actuelles empêchent les personnes en fin de vie hospitalisées ou isolées à leur domicile de voir une dernière fois leurs proches. Ces derniers ne peuvent pas non plus assister aux funérailles. Quelle trace cela peut-il laisser chez les personnes endeuillées ? S’agit-il d’un deuil impossible ?
Il n’y a que très peu de deuils impossibles, en réalité, sauf bien entendu la mort d’un enfant. La résilience de l’humain est étonnante et m’étonnera toujours. Ayons confiance dans cette capacité de rebond de la nature humaine, capable certes du pire, mais bien plus souvent du meilleur.