Première mondiale à l'interface entre la physique et les mathématiques.

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Publié le 18 novembre 2020

Qui n’a pas déjà eu la certitude, au cours de sa vie, qu’une de ses chaussettes avait véritablement disparu à l’issue de son séjour dans le panier à linge sale ? Le second principe de la thermodynamique, énoncé en 1824, donne corps à une telle ''disparition''en introduisant la notion d'entropie. Mais il aura fallu attendre 2017 pour qu'un chercheur d'Université Côte d'Azur, en collaboration avec le groupe de John Bechhoefer à Simon Fraser University, mesure pour la première fois l'objet entropie dans une expérience de physique.

Qui na pas déjà eu la certitude, au cours de sa vie, quune de ses chaussettes avait véritablement disparu à lissue de son séjour dans le panier à linge sale ?

Le second principe de la thermodynamique donne corps à une telle ''disparition''en introduisant la notion d'entropie, qui décrit un « objet » physique mesurant la plage de l’étendue des états microscopiques possibles à l’intérieur d’un système. Le second principe de la thermodynamique postule que l'entropie globale de l'univers ne peut qu'augmenter. Ceci rompt en conséquence avec l’idée que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se conserve » qui régit le première principe de la thermodynamique. Dans ce principe, si un système, entre deux instants, gagnait ou perdait de l’énergie, alors en contrepartie, le reste de l'univers en perdait ou en gagnait autant. Néanmoins, une fois le second principe énoncé, se pose le problème de la définition mathématique de la dite entropie. Cette question est en effet centrale en Physique Statistique depuis plus d'un siècle. « Spécialement, pour des systèmes hors d'équilibre (en particulier « non isolés », ou « non fermés »), il n'existe pas de consensus sur la forme de l'entropie '', précise Raphaël Chetrite, chercheur au Laboratoire Jean Alexandre Dieudonné d'Université Côte d'Azur.

En collaboration avec le groupe de John Bechhoefer à Simon Fraser University, il a contribué à résoudre ce problème, en montrant que l'entropie de la théorie de l'information, appelée entropie de Gibbs-Shannon, est le bon objet entropie pour une large classe de systèmes hors d'équilibre.

Physicien théoricien de formation, Raphaël Chetrite travaille à l’intersection avec les probabilités. Ses travaux portent sur les aléas dans la nature (quelle est la probabilité pour qu’un événement qui semble « improbable » survienne). Il considère des systèmes ouverts, c’est-à-dire en situation d’interaction avec le monde extérieur. Il pourrait s’agir par exemple d’un grain de riz dans un frigo ou d’une chaussette dans le panier à linge.

Pour leur expérience sur l'entropie, Raphael Chetrite et ses collègues ont placé un minuscule système dans ce qui peut s’apparenter à un gros frigidaire. Plus précisément, le système en question représente 1 bit d’information, autrement dit une unité d’information susceptible d’être présente « à droite » du dispositif (équivalent au « 1 » en langage informatique binaire) ou « pas à droite » (équivalent au « 0 »). 

On place de petites billes colloïdales en silicate (1,5 micromètre de diamètre) dans un « piège » qui modifie leur répartition spatiale au cours du temps. Une force électrique tend à les ramener toutes au centre. On perd donc linformation sur la répartition latérale des billes placées dans le piège, ce qui modélise l'effacement de la mémoire d'un état donné antérieur.

Cette expérience vérifie aussi la prédiction révolutionnaire de Rolf Landauer au début des années 60, selon laquelle tout effacement d'information s'accompagne d'une dissipation de chaleur infime, mais jamais nulle. Cette infime chaleur inévitable, correspond ici à l'augmentation d'entropie. Or, elle peut s'avérer grande une fois ramenée à la surface du support de stockage informatique et pose un problème pratique de nos jours, en raison de l'effort de miniaturisation des microprocesseurs, qui exposerait donc davantage les ordinateurs à un risque de surchauffe.

Ces dernières années, des chercheurs ont utilisé ce même contexte expérimental pour mesurer le travail (W) associé à cette opération d'effacement (la quantité d’énergie qu'on peut extraire du système). Ils avaient ainsi vérifié que l'opération d'effacement s'accompagnait bien d'une dissipation de chaleur non nulle. Puis l’année dernière, Raphaël Chétrite et ses collègues ont entrepris de démontrer que dans ce système, ce qui apparaît sous forme de  travail, ou de chaleur, est identique à la fameuse entropie de Gibbs-Shannon.

Il s’agit donc de la première démonstration expérimentale que l’entropie de Gibbs Shannon intervient en physique pour un système ouvert hors d'équilibre. C’est également la première fois que des chercheurs la mesurent. 

Les travaux de Raphaël Chétrite et de ses collaborateurs ont été publiés dans la prestigieuse revue "Proceedings of the National Academy of Sciences of USA".

http://www.pnas.org/content/early/2017/10/02/1708689114.abstract