UCA News donne la parole aux doctorants, sous un format libre. Pour cette première édition, Frédéric Di Bisceglie réagit à la proposition de résolution parlementaire du 8 décembre 2016, qui avait ravivé la polémique sur le cadre de soin approprié pour les enfants atteints d'un trouble du spectre autistique.
Autisme quel horizon pour 2017 ?
Pour commencer cette nouvelle année, il m'a semblé important de faire un point sur l'état actuel des prises en charge précoces de l'autisme. Cette intention fut principalement motivée par un événement relativement récent – la proposition de résolution du 08 décembre 2016 à l'Assemblée nationale du député Daniel Fasquelle [1] – et par le constat alarmant que de nombreuses familles éprouvent toujours autant de difficultés pour scolariser ou trouver une prise en charge adaptée pour leur enfant avec un Trouble du Spectre de l'Autisme.
J'ai pu, en effet, croiser le chemin de deux de ces familles, tout à fait par hasard, dans deux pays différents : en Angleterre et en France. Dans le premier pays, le dossier de l'enfant avait été refusé, sans explications, par l'organisme équivalent à la M.D.P.H française. Dès lors, les parents, après avoir menacé de porter plainte pour non respect des droits de leur enfant, ont vu finalement leur dossier accepté. Toutefois, l'évaluation de la situation par des professionnels de santé, nécessaire à l'élaboration du dossier dans le but d'une insertion scolaire et d'une prise en charge, a mis plus d'un an à se faire et sans même proposer à la famille la moindre prise en charge... Concernant le second pays, la prise en charge psychologique de l'enfant se faisait par un Centre Médico Psychologique (C.M.P.), à hauteur de 30 minutes par semaine et ce, depuis plus d'un an.
Au-delà de ces solutions, quelles étaient les autres alternatives pour ces familles ? En Angleterre, après avoir recherché un psychologue dans la région, l'offre la plus abordable s'élevait à 70 £ de l'heure. Budget que la famille ne pouvait pas se permettre au vu du faible revenu du foyer. Quant à la France, la famille envisageait d’envoyer son enfant dans un centre spécialisé à plus de 700 km de distance ou à contacter des éducateurs ABA dont le taux horaire pouvait s'élever à 55€ de l'heure...
Finalement, en tant que psychologue et doctorant, j'ai proposé à ces deux familles la solution de la recherche clinique, c'est-à-dire la prise en charge de leur enfant, à travers les Médiations Thérapeutiques par l'Art (MTA). Mon travail de recherche consiste à modéliser les MTA à l'aide des concepts empruntant à la fois à la neuropsychologie cognitive et à la psychanalyse. Or, la proposition de résolution du député Daniel Fasquelle, demande de "fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes, dans la prise en charge de l’autisme car n’étant pas recommandées par la Haute Autorité de Santé (HAS)" [1]. En conséquence, il me semble judicieux de me poser les questions suivantes : si cette proposition de résolution avait été adoptée il y a quelques mois, aurais-je été un hors la loi ? Et quelles auraient été les conséquences pour la prise en charge précoce de l'autisme ?
Une proposition aux nombreux effets collatéraux...
Tout d'abord, l'un des premiers effets collatéraux aurait été de poser une épée de Damoclès au-dessus de la tête des médecins. En effet, outre la limitation de la libre prescription, "la menace d’une sanction pénale en raison de telle ou telle pratique médicale fondée sur un état de la science à un moment donné ferait de tout médecin, tout au long de sa carrière, un criminel en sursis." [2] Effectivement, les médecins auraient risqué leur carrière en prescrivant une approche susceptible d’user de certains concepts psychanalytiques comme avec les MTA.
La rigidité de cette proposition ferait également qu'une nouvelle découverte scientifique ne pourrait être appliquée parce que celle-ci n'entrerait pas dans les recommandations de la HAS car ces dernières, en effet, ne s'actualisent que tous les 5 à 10 ans.
Egalement, il ne semble pas nécessaire de rappeler aux médecins de respecter les avancées scientifiques car cette obligation est déjà écrite dans tous les textes, notamment dans le serment d’Hippocrate [3] et dans l’article R4127-8 du code de la santé publique [4].
Dès lors, comme l'indique la secrétaire d'Etat Ségolène Neuville, cette proposition semble "méconnaître" les règles et les instances qui régulent les pratiques médicales. En effet, toutes "éventuelles infractions aux dispositions de l’article R4127 du code la santé publique relèvent non de la justice pénale, mais de la juridiction disciplinaire de l’ordre des médecins" [2].
Enfin, au vu de l'ensemble de ces effets collatéraux, Mme Ségolène Neuville a jugé opportun de rappeler qu'il ne serait absolument pas souhaitable "qu’un gouvernement, quel qu’il soit, prétende faire de la médecine à la place des médecins." [2]
Quelle est la position de la HAS envers la psychanalyse ?
Les recommandations de la HAS constituent déjà la "colonne vertébrale" [2] du 3ème plan autisme. Or, cette dernière [5] ne classe pas la psychanalyse dans les "approches globales non recommandées", comme cela est suggéré par le point 16 de la proposition [1], mais bien dans les "approches globales non consensuelles", de part "l’absence de données", sur son efficacité et "la divergence des avis exprimés" [5].
Dès lors, il semble qu'un amalgame entre psychanalyse et maltraitance se soit glissé dans la proposition de Daniel Fasquelle. Rappelons alors que la psychanalyse ne se résume pas qu'à du charabia, comme nous le montre le saisissant documentaire Le Mur [6], ni au slogan des "mères frigidaires" dont l'instigateur n'est autre que le créateur lui-même de la classification de l'autisme, Léo Kanner [7-8]. Autrement, le grand neurologue Oliver Sacks ne se serait pas soucié de citer la psychanalyse dans nombre de ses ouvrages... Par ailleurs, il serait tout aussi déraisonnable de réduire les interventions comportementales (la méthode ABA, Denver Model, TEACCH etc.). à des punitions [9-10] ou à des dérives expérimentales [11]. Dès lors, dans les cas où une neutralité et une écoute bienveillantes sont nécessaires, le référentiel psychanalytique peut s'avérer un choix judicieux.
Par conséquent, vouloir "fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes" ferait que les enfants avec autisme "ne pourraient plus bénéficier de pratiques psychothérapeutiques, c’est-à-dire les thérapies par la parole ou les thérapies de groupe, comme les psychodrames, l’équithérapie, voire l’art-thérapie" [2] ce qui serait particulièrement dommageable, par exemple, pour les enfants avec TSA sans retard de langage. De plus, les parents également, dont la souffrance est particulièrement grande, ne pourraient bénéficier de cette écoute.
Finalement, il semble urgent d'introduire le futur plan autisme qui préconise "l’apaisement et le rassemblement" [12]. Ces valeurs viennent alors nous rappeler que ce combat contre la psychanalyse, aux effets collatéraux, n'a plus lieu d'être. De plus, nous pouvons ajouter que, sur le plan de la recherche, si la psychanalyse ne réussit pas à démontrer son efficacité dans la prise en charge de l'autisme, celle-ci s'éteindra d'elle même sans même l'ombre d'un combat.
Quant aux approches recommandées par la HAS...
Cette proposition de résolution nous amène alors à nous intéresser aux recommandations de bonne pratique de la HAS. Cette dernière recommande "les interventions personnalisées, globales et coordonnées débutées avant 4 ans et fondées sur une approche éducative, comportementale et développementale" [5] comme la méthode ABA, le Denver Model et le programme TEACCH. Toutefois, à bien y faire attention, la HAS a attribué à ces méthodes les grades B et C [13], ce qui signifie qu'aucune d'entre elles ne parvient à obtenir le grade A de "preuve scientifique établie". Dès lors, seulement avec les recommandations de la HAS et sans même oser aborder le rapport du NICE anglais [14], nous pouvons affirmer que le fameux slogan des méthodes comportementales "l'efficacité est scientifiquement prouvée" [2] s'avère parfaitement caduc. Tout reste donc encore à créer.
Les Actions futures : la recherche clinique
En réalité, de part une qualité des standards de preuve relativement faibles des études scientifiques, il semble inenvisageable que "seuls les thérapies et les programmes éducatifs qui sont conformes aux recommandations de la Haute Autorité de Santé soient autorisés et remboursés" [1] comme le demande la proposition de résolution du député Daniel Fasquelle.
Nous pouvons en revanche proposer, pour orienter du mieux possible les familles, de commencer, en premier lieu, par suivre les valeurs du 4ème plan autisme et ainsi que de faire preuve d'humilité et surtout d'objectivité.
Quant à la recherche, celle-ci devra encore jouer un rôle important dans la prise en charge précoce de l'autisme. Pour ma part, j'essaie d'apporter ma petite pierre à l'édifice à l'aide des Médiations Thérapeutiques par l'Art [15]. Mes deux études préliminaires présentent des résultats encourageants [16]. En effet, après 45 séances, une amélioration cliniquement significative a été au rendez-vous, constatée à la fois par les parents et l'école mais aussi par les professionnels de santé. Toutefois, la méthodologie et la qualité des standards de preuve de ces deux études préliminaires devront être améliorées afin d'augmenter la validité scientifique d'une possible troisième étude. Ainsi, là où la proposition de résolution venait faire suture, vouée à la répétition du même, "l'art fait rupture et dans le meilleur des cas ouverture" [17] vers de nouvelles perspectives.
Frédéric Di Bisceglie
Psychologue clinicien
Doctorant en Psychologie clinique (ED SHAL 86)
LAPCOS (EA 7278)
Université Côte d'Azur