Les ondes gravitationnelles font la première lumière sur la fusion d’étoiles à neutrons

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Publié le 18 novembre 2020

Les scientifiques de la collaboration LIGO-Virgo (dont l'équipe ARTEMIS est membre) ont observé pour la première fois des ondes gravitationnelles émises lors de la fusion de deux étoiles à neutrons, et non de deux trous noirs comme dans les cas précédents. Autre première : cette source d’ondes gravitationnelles émet de la lumière, observée dans les heures, jours et semaines qui suivirent grâce à la contribution de 70 autres observatoires sur Terre et dans l’espace.

 Cet ensemble d'observations marque l’avènement d’une astronomie dite « multi-messagers ». Une moisson de résultats en est issue : d’une solution à l’énigme des sursauts gamma et à celle de l’origine des éléments chimiques les plus lourds – comme le plomb, l’or ou le platine –, en passant par l'étude des propriétés des étoiles à neutrons ou par une mesure indépendante de la vitesse d'expansion de l'Univers. Une dizaine d’articles scientifiques publiés le 16 octobre 2017 détaillent ces différents aspects. Ils sont signés par de nombreux chercheurs de laboratoires du CNRS (plus de 200 pour l'une des publications), membres de la collaboration LIGO-Virgo ou de groupes d’astronomes partenaires.

C'est une aventure hors du commun qui a démarré, le 17 août 2017 à 14 heures 41 minutes (heure de Paris), par l’observation d’un signal d'ondes gravitationnelles d’un type nouveau. Cette fois, le signal détecté est bien plus long que dans le cas de la fusion de trous noirs (une centaine de secondes contre une fraction de seconde), signe que les deux objets qui finissent par fusionner sont différents de ceux détectés jusqu’à présent. L'analyse détaillée des données indiquera que les masses des deux objets sont comprises entre 1,1 et 1,6 fois la masse du Soleil, ce qui correspond à celles des étoiles à neutrons.

Les étoiles à neutrons sont des vestiges d'étoiles massives. Une étoile géante meurt en explosant, donnant ainsi naissance à une supernova. Ce phénomène extrêmement lumineux ne dure que quelques jours à quelques semaines : une fois l’explosion terminée, il ne reste plus qu’un cœur très dense composé presque uniquement de neutrons – une étoile à neutrons. Celle-ci a la taille d’une ville comme Londres, mais une petite cuillère de sa matière pèse environ un milliard de tonnes : les étoiles à neutrons sont les étoiles les plus petites et les plus denses connues à ce jour. Tout comme les étoiles ordinaires dont elles sont issues, certaines évoluent en couple. Elles orbitent alors l’une autour de l’autre et se rapprochent lentement en perdant de l’énergie sous forme d’ondes gravitationnelles – un phénomène qui finit par s’accélérer jusqu’à la fusion. Si ce scénario était prédit par les modèles, c’est la première fois qu’il est confirmé par l’observation.

Presque au même moment et de manière indépendante, le satellite Fermi de la Nasa enregistre un sursaut gamma – un flash de rayonnement très énergétique – et lance immédiatement une alerte automatique. Si ce type de flash est relativement fréquent (il s’en produit presque chaque semaine en moyenne), celui-ci a la particularité d’être détecté environ 2 secondes après la fin du signal d’ondes gravitationnelles, indiquant un lien fort entre ces deux événements. Par ailleurs l’analyse des données de Fermi indique une origine spatiale de 1100 degrés carrés compatible avec la localisation par les détecteurs Virgo et LIGO. Le sursaut gamma est également observé par le satellite Integral de l’Agence spatiale européenne (ESA). Ces observations confirment qu’au moins une partie des sursauts gamma courts sont produits par la fusion d’étoiles à neutrons.

La naissance d’une nouvelle astronomie

En parallèle, cette source est localisée dans le ciel en exploitant les temps d’arrivée et l’amplitude des signaux mesurés dans les trois détecteurs d’ondes gravitationnelles (les deux détecteurs de LIGO aux États-Unis et celui de Virgo en Europe). La zone ainsi déterminée, qui couvre environ 30 degrés carrés dans la constellation de l’Hydre de l’hémisphère austral, est des dizaines de fois plus restreinte que celle établie par Fermi. Elle est communiquée à près de 90 groupes d’astronomes partenaires pour qu’ils pointent leurs instruments dans cette direction. Douze heures plus tard, le groupe 1M2H utilisant le télescope américain Swope au Chili annonce la découverte d'un nouveau point lumineux dans la galaxie NGC 4993, située à 130 millions d'années-lumière de la Terre. Très rapidement, ce résultat est confirmé par d’autres télescopes de manière indépendante. A leur suite, de nombreux autres instruments réalisent des observations, dont ceux de l’ESO au Chili, ou le télescope spatial Hubble.

Cette zone est alors scrutée sans relâche et les premières analyses des spectres lumineux montrent qu'il ne s'agit pas d’une supernova mais d'un type d'objet encore jamais observé, constitué de matière très chaude qui refroidit et dont la luminosité décroît rapidement – d’où une course contre la montre pour l’observer avant qu’il ne s’estompe.

Selon les modèles, la matière éjectée par la fusion de deux étoiles à neutrons est le siège de réactions nucléaires aboutissant à la formation de noyaux atomiques plus lourds que le fer (comme l’or, le plomb, etc.), grâce à l'abondance de neutrons. Cette matière très chaude et radioactive se disperse alors, émettant de la lumière dans toutes les longueurs d'onde, initialement très bleue puis rougissant au fur et à mesure que la matière refroidit en se dispersant. Appelé kilonova, ce phénomène jusqu’ici uniquement prédit par la théorie est ainsi confirmé de manière convaincante. On a donc observé ce qui est sans doute le principal processus de formation des éléments chimiques les plus lourds de l’Univers !

Outre la confirmation que les fusions d'étoiles à neutrons produisent des sursauts gamma courts, la première détection non ambiguë d'une kilonova et la preuve que les éléments lourds de l'Univers sont formés lors de ce processus, cet ensemble d'observations permet également de mieux comprendre la physique des étoiles à neutrons et d'éliminer certains modèles théoriques extrêmes. Il permet aussi de mesurer d’une nouvelle manière la constante de Hubble, décrivant la vitesse d'expansion de l'Univers. Ces résultats, qui couvrent des disciplines variées (physique nucléaire, astrophysique, cosmologie, gravitation), illustrent le potentiel d’une astronomie naissante, s’appuyant sur plusieurs types de messagers cosmiques (les ondes gravitationnelles, les ondes électromagnétiques comme la lumière ou les rayons gamma, et peut-être un jour les particules telles que les neutrinos ou les rayons cosmiques). Ils sont détaillés dans une dizaine de publications dont l'une est l’œuvre de plusieurs milliers de chercheurs regroupés en une cinquantaine de collaborations.

Les chercheurs travaillant sur Virgo sont regroupés au sein de la collaboration du même nom, comprenant plus de 280 physiciens, ingénieurs et techniciens appartenant à 20 laboratoires européens dont 6 au CNRS en France, 8 à l'INFN en Italie et 2 à Nikhef aux Pays-Bas. Les autres laboratoires sont MTA Wigner RCP en Hongrie, le groupe POLGRAW en Pologne, un groupe à l’université de Valence (Espagne) et EGO (European Gravitational Observatory), où est implanté l'interféromètre Advanced Virgo, financé par le CNRS, l’INFN et Nikhef.

LIGO est financé par la NSF, et piloté par Caltech et le MIT, qui ont conçu LIGO et dirigé le projet LIGO initial ainsi que la transition vers des détecteurs de deuxième génération, Advanced LIGO. Le financement du projet Advanced LIGO est assuré par la NSF, avec des contributions importantes de l’Allemagne (Max Planck Gesellschaft), du Royaume-Uni (Science and Technology Facilities Council) et de l’Australie (Australian Research Council). Plus de 1 200 scientifiques du monde entier participent à cet effort au sein de la collaboration LIGO, qui comprend la collaboration GEO et la collaboration australienne OzGrav. Les autres partenaires sont recensés sur la page http://ligo.org/partners.php.

Les publications scientifiques des collaborations LIGO et Virgo annonçant cette observation sont cosignées par 76 scientifiques de six équipes du CNRS et d’universités associées :

  • le laboratoire Astroparticule et cosmologie (CNRS/Université Paris Diderot/CEA/Observatoire de Paris), à Paris ; 
  • le laboratoire Astrophysique relativiste, théories, expériences, métrologie, instrumentation, signaux (CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/Université Nice Sophia Antipolis), à Nice ; 
  • le Laboratoire de l'accélérateur linéaire (CNRS/Université Paris-Sud), à Orsay ; 
  • le Laboratoire d'Annecy de physique des particules (CNRS/Université Savoie Mont Blanc), à Annecy; 
  • le Laboratoire Kastler Brossel (CNRS/UPMC/ENS/Collège de France), à Paris ; 
  • le Laboratoire des matériaux avancés (CNRS), à Villeurbanne.

La France également impliquée dans la détection des signaux lumineux

En plus des chercheurs de la collaboration Virgo, environ 160 chercheurs français font partie de collaborations d’astronomes (Antares, DECam, DLT40, ePESSTO, Fermi, GRAWITA, HESS, Integral, OzGrav, Pierre Auger et TZAC) qui sont signataires de la publication résumant l'ensemble des observations, et pour certains d'être eux, de publications plus spécifiques dévoilées aujourd'hui.

Ces chercheurs font partie des laboratoires suivants :

  • laboratoire Astroparticule et cosmologie (CNRS/CEA/Observatoire de Paris/Université Paris Diderot) 
  • laboratoire Astrophysique relativiste, théories, expériences, métrologie, instrumentation, signaux (CNRS/Observatoire de la Côte d'Azur/Université de Nice Sophia Antipolis)
  • laboratoire Astrophysique, interprétation, modélisation (CNRS/CEA/Université Paris Diderot) 
  • Centre d'études nucléaires de Bordeaux Gradignan (CNRS/Université de Bordeaux) 
  • Centre de physique des particules de Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université) 
  • laboratoire Galaxies, étoiles, physique, instrumentation (CNRS/Observatoire de Paris/Université Paris Diderot)
  • laboratoire Géoazur (CNRS/Observatoire de la Côte d'Azur/Université de Nice Sophia Antipolis) 
  • Groupe de recherche en physique des hautes énergies de l'Université de Haute-Alsace 
  • Institut d'astrophysique de Paris (CNRS/UPMC)
  • Institut de physique nucléaire d'Orsay (CNRS/Université Paris-Sud) 
  • Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble (CNRS/Université de Grenoble Alpes) 
  • Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS/CNES/Université Toulouse III – Paul Sabatier) 
  • Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers du CEA
  • Institut méditerranéen d'océanographie (CNRS/IRD/Aix-Marseille université/Université de Toulon)
  • Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS/Université de Strasbourg) 
  • Laboratoire d’Annecy de physique des particules (CNRS/Université de Savoie Mont-Blanc) 
  • Laboratoire d'astrophysique de Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université) 
  • Laboratoire de physique de Clermont (CNRS/Université Clermont Auvergne) 
  • Laboratoire de physique corpusculaire de Caen (CNRS/Ensicaen/Université de Caen) 
  • Laboratoire de physique et chimie de l'environnement et de l'espace (CNRS/Université d'Orléans) 
  • Laboratoire physique nucléaire et hautes énergies (CNRS/Université Paris Diderot/UPMC) 
  • Laboratoire de physique subatomique et cosmologie (CNRS/Grenoble INP/Université Grenoble Alpes) 
  • Laboratoire de physique subatomique et des technologies associées (CNRS/IMT Atlantique/Université de Nantes)
  • Laboratoire des sciences de l'information et des systèmes (CNRS/Aix-Marseille université/Université de Toulon) 
  • Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS/École polytechnique)
  • Laboratoire physique nucléaire et hautes énergies (CNRS/UPMC/Université Paris Diderot) 
  • Laboratoire Univers et particules de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier
  • Laboratoire Univers et théories (CNRS/Observatoire de Paris/Université Paris Diderot) - Station de radioastronomie de Nançay (CNRS/Observatoire de Paris/Université d'Orléans)

source : communiqué CRNS