Le CIRM à la conquête de nouvelles dimensions sonores
Publié le 18 novembre 2020
Le CIRM, Centre national de Création Musicale, a ouvert au public les coulisses de la composition contemporaine. Le 9 décembre, il a dédié une journée du festival MANCA aux dialogues entre l’art et la science, marquant ainsi son affiliation depuis 2015 à Université Côte d’Azur.
Sur scène, Andrea Giomi semble au premier abord sous investir l’espace. Ses mouvements sont ceux d’un musicien, dont l’espace physique se limite à la forme de son instrument. Or, en l’occurence, le doctorant du CIRM joue sans cordes ni vents ou percussions entre les doigts. Il explore le langage de son corps, au moyen de bracelets qu’il a élaborés pour se fixer autour de ses bras ou de ses tibias. Des capteurs de mouvement et des signaux électriques périphériques à ses muscles et à ses tendons envoient ainsi en temps réel des « notes » pour l’ordinateur. Grace aux algorithmes crées par Andréa Giomi, la machine joue alors les modulations sonores chorégraphiées par le compositeur-danseur, qui apparait dans sa dimension réelle. Il est à la fois le corps en mouvement, le programme informatique, l’interface graphique projeté sur grand écran et le son émis dans l’auditorium du MAMAC.
Pendant sa thèse, Andrea Giomi a choisi d’explorer la technologie pour « donner à voir » les sons. Performer et artiste du numérique, il entend « passer d’un développement centré sur l’ordinateur à l’interaction incarnée (embodied interaction) ». Son travail vise en effet à rendre visibles les différents aspects de la cognition musicale. « Quelque chose s’incarne, se lie au mouvement, avec des modalités sensorielles multiples », explique-t-il. Pour ses 40 ans, le Centre de documentation de la musique contemporaine (Cdmc) a également réalisé 40 entretiens avec des compositeurs d’aujourd’hui, afin de saisir les différentes modalités de cette appropriation des possibilités technologiques. Sébastien Beranger confie ainsi essayer « d’élargir l’espace acoustique ».
« Je tente de proposer une sorte de science fiction en temps réel, à partir d’instruments classiques. Je conduis une réalité parfaite dans un monde où les couleurs, les rythmes, les paramètres se trouvent augmentés », raconte-t-il à la caméra. Il souligne également que désormais, le compositeur face à son outil (l’ordinateur), peut aussi travailler l’espace scénique et de diffusion, au plus proche du résultat final (voir l’article sur le nouveau bureau du compositeur). Pour le directeur du CIRM, François Paris, « nous sommes sortis des dogmes ». Il souligne une manière d’être extrêmement pragmatique chez la nouvelle génération de compositeurs : « s’ils ont besoin de la technologie, ils s’en emparent sans états d’âme. C’est la fin du fétichisme classique, au profit de buts précis ». Selon lui, le principal écueil à éviter avec le numérique consiste à céder à la « peur du vide », autrement dit à la tentation d’utiliser la technologie pour épaissir une création mal assurée.
En matière « d’expérience spectateur », François Paris voit en revanche toute une palette de dispositifs à tester. « Nous pourrions permettre au public de rentrer dans la pièce au moyen par exemple des smartphones ou de hauts-parleurs miniatures placés sous chaque fauteuil », évoque-t-il. Aussitôt suggéré, aussitôt expérimenté. En clôture de cette journée, le CIRM, en collaboration avec Inria, a proposé à la salle d’essayer un prototype d’application développée par Manuel Serrano, chercheur à Inria, avec Colin Vidal, dont il dirige la thèse. Sur scène, Bertrand Heidelein, spécialiste en composition musicale graphique, la chanteuse Elodie Tisserand et le calligraphe Franck Lalou ont joué le spectacle performance GOLEM en y intégrant à deux reprises les productions improvisées du public. Les spectateurs, au moyen de leur smartphone, ont pu en effet composer une modulation sonore à partir d’un clavier virtuel à 9 touches inspiré des fonctionnalités d’un synthétiseur. Les échantillons, centralisés et réarrangés selon un code mystérieux ont donc achevé l’oeuvre musicale.
Performance de Andrea Giomi lors du festival MANCA 2017 from Université Côte d'Azur on Vimeo.