L’astéroïde Didymos, cible de la mission Hera de l’ESA, pourrait être assimilé à une peluche de poussière
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le 30 mars 2021
Une étude internationale, dirigée par Yun Zhang (Université Côte d’Azur, Observatoire de la Côte d’Azur, CNRS, Laboratoire Lagrange), incluant l’Investigateur principal de la mission Hera de l’ESA, Patrick Michel, directeur de recherche CNRS, UMR Lagrange (UCA-OCA-CNRS), ainsi que Brian May, guitariste du groupe de Rock Queen et astrophysicien, montre comment les mêmes forces qui sont responsables des peluches de poussière sous nos lits pourraient aussi être responsables de la stabilité structurelle de l’astéroïde Didymos, cible des missions spatiales Hera et DART.
Cette année, le satellite DART s’envolera sur une trajectoire qui le conduira à entrer en collision avec Dimorphos à l’automne 2022, pour modifier son orbite autour de son corps central. En 2024, la mission Hera s’envolera pour mesurer dans tous ses détails le résultat de l’impact de DART et les propriétés de Didymos, en particulier pour la première fois, sa structure interne.
Sur la base de nos connaissances actuelles sur la formation des astéroïdes, les corps de la taille de Didymos sont des agrégats constitués de roches liées entre elles par leur propre attraction. Toutefois, Didymos tourne très vite sur lui-même, en 2,26 heures, ce qui en théorie devrait le détruire selon ses propriétés internes.
« Dans notre étude précédente, nous avons montré que si Didymos est un agrégat constitué de roches maintenues ensemble uniquement sous l’effet de leur attraction gravitationnelle, il ne peut être stable avec sa période de rotation actuelle et sa densité estimée à 2170 kg/m3 », explique Yun Zhang.
Pour résoudre ce mystère, Yun et ses collègues ont développé des simulations numériques poussées consistant à modéliser le comportement d’un agrégat tel que Didymos soumis à une augmentation de sa vitesse de rotation sur lui-même jusqu’à ce qu’il se casse, en tenant de toutes les forces mises en jeu. Puis, Brian May et sa collaboratrice, Claudia Manzoni, de la London Stereoscopic Company, ont produit des films stéréos 3D des simulations de l’évolution et de la destruction de l’astéroïde.
Figure 1 : extrait d’un film stéréo produit par Brian May et Claudia Manzonie, d’une simulation de destruction de Didymos lorsque sa vitesse de rotation sur lui-même augmente et que la force centrifuge devient dominante.
« Observer le résultat de nos modélisations en 3D est absolument extraordinaire et fournit des informations auxquelles nous ne pouvons tout bonnement pas accéder en 2D sur un écran d’ordinateur », s’enthousiasme l’investigateur principal de la mission Hera de l’ESA et deuxième auteur de l’article, Patrick Michel, directeur de recherche CNRS.
Dans cette nouvelle étude, l’équipe a estimé le degré de cohésion nécessaire entre les roches qui constituent l’agrégat pour qu’il soit stable à son taux de rotation actuel. « La cohésion sert de colle entre les différents morceaux », précise Yun Zhang. « Elle est due aux forces de Van der Waals causées par la possible présence de poussière entre les roches qui constituent un agrégat ».
Les forces de Van der Waals sont produites à cause de la façon dont sont distribuées les charges électriques dans les atomes et les molécules. C’est la même force qui conduit à la formation des peluches de poussière dans les endroits mal nettoyés et sous nos lits. Sur Terre, du fait de la forte attraction de notre planète, cette force n’agit que sur des particules de tailles inférieures à une fraction de millimètre. Mais dans l’environnement d’extrêmement faible gravité de Didymos, elles peuvent agir sur une échelle bien plus grande.
Sur la base des calculs des auteurs, la cohésion de surface requise pour Didymos est dans l’intervalle 3 - 6 Pascals (l’unité de pression standard) et sa cohésion interne entre 11 et 17 Pascals, selon l’arrangement des roches et leur distribution de tailles. C’est minuscule. La pression de l’atmosphère terrestre au niveau de la mer est énorme en comparaison, 101 325 Pascals. Néanmoins, ça fait toute la différence. Sans ce minuscule niveau de cohésion, le Didymos modélisé se détruirait.
« Il est vraiment fascinant de découvrir que même un degré infime de cohésion fait une énorme différence dans la stabilité structurelle d’un astéroïde ! », remarque Brian May. « L’équivalent d’une petite feuille sur le dos de ma main est ce qui fait la différence ».
Cette étude indique aussi une origine possible de la lune Dimorphos. L’équipe suggère que celle-ci pourrait avoir été formée à partir du matériau s’échappant du corps central lorsque celui-ci tournait encore plus vite sur lui-même.
Les résultats de cette collaboration viennent d’être publiés en accès libre dans le journal international à comité de lecture Icarus.« Nous avons réalisé récemment que les astéroïdes ne sont pas de simples rochers inertes », remarque Brian May. « Ce sont des petits mondes géologiquement actifs, évoluant dans des conditions très différentes de celles sur Terre, ce qui continue à défier notre intuition ».
Les simulations du projet ont été effectuée sur le super-calculateur du Mésocentre SIGAMM de l’Observatoire de la Côte d’Azur et le super-calculateur Deepthought2 HPC de l’Université de Maryland (USA). Le projet a été effectué avec le soutien financier de l’IDEX UCA JEDI , du CNES et du programme de recherche et d’innovation H2020 de l’Union Européenne (convention de subvention No. 870377, projet NEO-MAPP).
Contacts : Patrick Michel, michelp@oca.eu, tél.: 06 88 21 28 33.
Yun Zhang, yun.zhang@oca.eu