La distanciation aussi efficace que le confinement. L’espoir d’un effet saisonnier.
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le 30 avril 2020
Les données sur la Suède, l’Italie et la France montrent que le confinement strict ne contraint pas davantage l’évolution du COVID-19 que des stratégies plus souples. En revanche, sous nos latitudes, le climat pourrait jouer en faveur d’une accalmie saisonnière. Gilbert Reinisch poursuit son analyse comparative des données publiées depuis le début de l’épidémie.
Par Gilbert Reinisch, Observatoire de la Côte d’Azur, Dépt Lagrange, Université de Nice. Université d’Islande, Nanotechnologies, Reykjavík
mail : gilbert.reinisch@oca.eu ; gilbert@hi.is
Observation d’un régime linéaire postérieur à la croissance exponentielle dans la cinétique du Covid-19 en Italie, France et Suède : spécificité suédoise et effet saisonnier en France et en Italie
Introduction
Le précédent papier a mis en évidence pour l’Italie et la France une transition entre la croissance initiale exponentielle « universelle » de la mortalité dans l’épidémie du Covid-19 dont le temps caractéristique[1] est évalué à 4 jours et un régime de croissance linéaire–donc nettement moins meurtrier. Le présent article précise cette observation en y adjoignant le cas exceptionnel de la Suède. Exceptionnel en effet car ce pays n’a pas opté pour le confinement strict, contrairement à l’Italie et la France. Or il présente cependant le même type de transition de la croissance exponentielle vers la croissance linéaire. C’est une remarque troublante car pour les deux pays « confinés », ce papier montre que le début de la croissance linéaire peut être directement relié à l’origine du confinement (lequel perdure encore au moment de la rédaction de cet article : 29/4/2020). Une telle relation entre les paramètres du confinement et la naissance du régime linéaire n’est évidemment pas possible pour ce qui concerne la Suède. Comme celle-ci a néanmoins adopté des mesures appropriées concernant la réduction des interactions sociales au sein de sa population sans pour autant recourir au confinement, la conclusion qui s’impose est que si le strict confinement tel qu’il a été adopté en Italie et en France est une condition suffisante pour permettre la transition du régime exponentiel initial vers le régime linéaire, il n’est pas une condition nécessaire.
Figure 1
Une autre conclusion remarquable des courbes présentées par la figure 1 concerne la fin de la période linéaire transitoire. Comme on peut le voir, elle correspond au jour près (t = 116 jours, c’est-à-dire le 24 avril 2020) au moment où les cercles (Italie), les croix-cerclées (France avec EHPAD) et les croix (France-sans EHPAD) s’écartent en même temps –mais certes faiblement—de leurs droites en pointillés définissant leurs régimes linéaires respectifs. Or la cinétique du Covid-19 France est décalée d’une dizaine de jours par rapport à celle de l’Italie comme les deux exponentielles de référence respectives le montrent. Une telle coïncidence des sorties du régime linéaire pour ces trois cinétiques différentesconduit à la seule explication plausible : la fin simultanée de leurs régimes linéaires respectifs est due à un même agent extérieur qui perturbe la cinétique de l’épidémie dans ces deux pays. Je propose le cycle saisonnier, seul paramètre évident qui puisse affecter également et simultanément les deux pays par ailleurs proches ; et ce indépendamment des stratégies respectives de confinement adoptées.
Pour ce qui concerne la Suède, un tel amortissement de la linéarité n’est pas encore visible : cf. figure 2 qui montre un agrandissement approprié de la figure 1. Peut-être est-ce dû à un retard de l’effet saisonnier, compte-tenu de la latitude du pays ? Il sera intéressant de suivre l’évolution de l’épidémie en Suède dans les prochains jours pour la comparer à la figure 2.
Figure 2
Résumons-nous. Ce papier ne présente que des résultats d’observations incontestables –car dûment vérifiées par croisement entre les sources gouvernementales, médiatiques et internet—concernant la cinétique de la mortalité due au Covid-19 en France, Italie et Suède. En leur état actuel, ces observations montrent que :
- La solution du confinement strict tel qu’il a été décidé par les autorités des deux premiers pays n’est pas l’unique solution pour parvenir à la transition –par ailleurs éminemment souhaitable—entre la croissance exponentielle initiale de l’épidémie et un régime ultérieur de croissance linéaire de la mortalité nettement moins agressif. Une autre solution plus « conviviale » de réduction des interactions sociales pour pallier la propagation du virus –quoique néanmoins exigeante quant aux geste-barrières—est également possible grâce à l’exemple suédois.
- Un effet saisonnier entraînant la fin de ce régime de croissance linéaire et sa transition progressive vers une pente (ou croissance) plus faible semble être mis en évidence par la figure 1 à partir du temps t = 116 jours.
La transition entre la croissance exponentielle initiale et une croissance linéaire : le cas de la France et de l’Italie
Il s’agit d’une transition entre la phase initiale exponentielle de l’épidémie telle qu’elle a été définie dans le premier papier et une phase ultérieure de croissance linéaire correspondant à une augmentation nettement plus faible de la mortalité –d’où son intérêt.
Les résultats ont été présentés par la Figure 1. On rappelle que l’exponentielle bleue en « tirets-points » représente l’exponentielle de référence italienne (en gras sur la figure) décalée de 9,5 jours pour devenir l’exponentielle de référence française. Les cercles définissent la mortalité totale due au Covid-19 en Italie à chaque instant t compté en nombre de jours depuis le début de l’année 2020 et les croix encerclées celle de la France, alors que les croix seules correspondent au nombre de décès uniquement enregistrés en milieu hospitalier (donc EHPAD non compris).
On a représenté en tirets discontinus verts la droite décrivant le régime linéaire italien et en pointillés les deux droites respectives décrivant les deux régimes linéaires de la France (milieu hospitalier uniquement et nombre total de décès incluant les EHPAD). On constate que ces trois droites convergent remarquablement bien (avec une incertitude de deux jours maximum) vers les dates correspondant aux débuts du confinement de chaque pays : en Italie (flèche de gauche) et en France (flèche de droite). C’est une propriété remarquable qui illustre l’effet de la condition initiale (début du confinement) sur l’évolution asymptotique linéaire de la cinétique du Covid-19 en l’absence de perturbation (effet saisonnier : voir plus haut).
De plus, la durée de la période transitoire entre les régimes exponentiel et linéaire y est identique pour l’Italie et pour la France-hospitalière : 25 jours pour l’Italie correspondant au laps de temps de t = 67 (flèche) à t = 92 (droite pointillée) et 25 jours également pour la France-hôpitaux, de t = 76 (flèche) à t = 101 (pointillés). Pour le nombre total de décès incluant les EHPAD en France, la durée est plus grande : 30 jours correspondant au temps t = 106 où les croix cerclées rejoignent leur régime quasi-linéaire en effet très légèrement incurvé.
Ainsi, une fois le confinement appliqué (flèches), il faut entre 25 et 30 jours pour passer du régime exponentiel au régime linéaire. Cette période est en conformité avec les hypothèses de la modélisation de la pandémie par un système différentiel : « Lorsque la maladie se manifeste nous avons une première phase virale dans laquelle l’agent pathogénique se multiplie et une deuxième phase dans laquelle l’organisme du malade réagit et, dans quelques cas, il y a une sur-réaction qui provoque la mort de l’individu. Cette phase a une durée typique de 25 jours »[2].
Le cas singulier de la Suède
La figure 3 illustre l’évolution exponentielle de la mortalité N de l’épidémie du Covid-19 en Suède depuis le 11 mars jusqu’au 8 avril 2020.
Figure 3
Son prolongement par l’exponentielle « universelle » définie dans le premier papier et décalée par rapport à la France d’une vingtaine de jours figure en « tirets-points » verts sur les figures 1 & 2. Les signes « + » représentent sur ces figures les mortalités suédoises portées à partir de t = 101 jours (9 avril 2020). On constate que la 3ème valeur correspondant à t = 104 (soit le 12 avril 2020) et à N = 919 décès marque assez nettement le début de l’écart à l’exponentielle et l’entrée directe dans le régime linéaire défini par les pointillés correspondants sur les figures 1 & 2.
Il n’y a pas de confinement en Suède ; aussi la période transitoire de 25 jours présente pendant le confinement pour la France (hôpitaux) et l’Italie et qui définit, comme on l’a dit plus haut, l’entrée dans le régime linéaire n’a pas de sens ici car déterminée à partir du début de ce confinement. Par contre, comme nous l’avons souligné plus haut, cette période de 25 jours correspond également à la durée de l’infection suivie d’une éventuelle agonie dans le cas du Covid-19. Elle est donc intrinsèque à l’épidémie, indépendante de l’existence –ou pas—du confinement dans la population et peut donc également s’appliquer au cas suédois. On aboutirait ainsi à la conclusion que le début de la période de transition entre le régime initial exponentiel et le régime linéaire se situerait très tôt en Suède, à t = 104-25 = 79 jours ; soit le 18 mars 2020. En se reportant à la figure 3, c’est une estimation qui semble raisonnable.
Conclusion
Au terme de ce troisième papier, je souhaite souligner les limites de ma recherche. Elle a consisté à :
- Observer le nombre de décès rendus publics en prenant soin de le croiser avec plusieurs sources afin de les avérer.
- Comparer ensuite certains d’entre eux afin d’établir des corrélations.
En particulier, ces travaux ne représentent en rien une modélisation. En effet ils ne concernent que des faits établis ; non des prédictions.
Le premier papier décrit quantitativement la naissance et le développement exponentiel de l’épidémie du Covid-19 dont il fut par ailleurs aisé d’en déterminer ses deux paramètres fondamentaux en se concentrant sur le cas de l’Italie : son amplitude A et son temps caractéristique T = 4,34 jours. Rappelons ainsi que pendant la durée de la forme exponentielle de l’épidémie, nous avons constaté une multiplication de la mortalité par un facteur e (environ 2,72) tous les « 4,34 » jours. Par ailleurs, initialement, l’amplitude de la mortalité est restée extrêmement faible pendant une longue période avant d’assister à ce phénomène d’explosion exponentielle.
Cependant la forme tout à fait inattendue de cette exponentielle –une très longue période de « calme plat » d’amplitude quasi-nulle à l’échelle de la brutale explosion qu’elle annonce ensuite : le calme avant la tempête en somme—m’a amené à comparer ce phénomène à un raz-de-marée (ou tsunamipour reprendre le terme de l’ex-ministre de la santé qui a tenté, mais en vain, d’alerter les autorités dès janvier 2020). Ce n’était bien sûr qu’une image, mais cette image du raz-de-marée « sorti de nulle part » après une longue période de « calme plat » est néanmoins fort utile pour traduire en langage commun le phénomène jusqu’ici inconnu de la naissance et de la propagation du Covid-19 selon une « exponentielle à deux phases » et pour comprendre l’incrédulité, puis la sidération, des responsables politiques, médicaux (ah, l’inutilité du port du masque…) et médiatiques confrontés à l’horreur de la soudaine et brutale explosion de la mortalité.
Le deuxième papier a suivi le même cheminement pédagogique. En comparant le temps caractéristique T = 4.34 jours trouvé précédemment à la moyenne des valeurs trouvées dans d’autres pays et/ou contaminations diverses au Covid-19, il est apparu que ce paramètre fondamental de la mortalité exponentielle ne dépendait pratiquement pas de son environnement. Il est donc propre au Covid-19 et on peut écrire : T ~ 4 jours. Là encore, la comparaison physique s’imposait dans un but pédagogique avec la « période » ou la « demi-vie » exponentielle propre à une substance radioactive, et ce quel que soit son environnement (c’est cette propriété fondamentale qui permet la datation au carbone 14 partout où il se trouve).
Contrairement aux deux papiers précédents, ce troisième papier n’a pas d’ambition pédagogique. Il est entièrement orienté vers la publication de deux résultats dont la validité est pour le moment temporaire –car avérés le 29/04/2020 sans présumer de la suite—mais dont la signification est néanmoins importante pour la compréhension de la cinétique du Covid-19 :
- Un confinement strict n’est pas la seule solution pour permettre une transition du régime exponentiel initial vers un régime de croissance linéaire de l’épidémie Covid-19.
- Un effet saisonnier amenant à une réduction progressive de la pente de cette cinétique linéaire semble bien exister en ce qui concerne la France et l’Italie.
[1] On rappelle que le temps caractéristique T d’une exponentielle est le temps au bout duquel une valeur donnée est multipliée par 2,72
[2] José Pacheco, observatoire de la Côte d’Azur, communication privée