Gènes sauteurs actifs : la première carte épigénétique établie

  • Recherche
Publié le 13 février 2024 Mis à jour le 16 février 2024
Date(s)

le 13 février 2024

équipe Cristofari
équipe Cristofari - De gauche à droite: Sophie Lanciano, Aurélien Doucet, David Pratella, Claude Philippe, Gael Cristofari

Dans un article publié dans la revue Cell Genomics au mois de février 2024, l’équipe de Gaël Cristofari à l’IRCAN a établi la carte épigénétique (méthylation de l’ADN) la plus détaillée obtenue à ce jour pour les gènes sauteurs actifs chez l'Homme, avec de nombreuses découvertes sur leur régulation. Les gènes sauteurs constituent la majorité de ce qui est souvent appelé "la matière sombre" de notre génome, car peu accessible par les méthodes d'analyses génétiques conventionnelles.

Les éléments transposables, aussi appelés « gènes sauteurs », sont de petits fragments d’ADN capables de se multiplier et de se déplacer dans les chromosomes de la plupart des organismes vivants. Cette prolifération a été tellement intense chez les Mammifères et les Primates, qu’ils constituent plus de la moitié de nos chromosomes ! Chez l'Homme, les gènes sauteurs les plus actifs sont les rétrotransposons L1, présents par centaines de milliers de copies, dispersés dans notre ADN par un mécanisme de copier-coller génétique. En s’insérant à de nouvelles positions, ils peuvent altérer ou détruire des gènes, conduisant à de nouvelles maladies génétiques. Les rétrotransposons L1 sont aussi particulièrement actifs dans les cancers solides, et pourraient être impliqués dans certaines maladies neurologiques. Enfin, leur activité peut stimuler le système immunitaire, parfois de façon délétère en provoquant une inflammation stérile, comme dans le vieillissement cellulaire, mais aussi parfois de façon bénéfique, par exemple en contribuant à l’élimination des cellules tumorales dans les cancers. 
 

Comment l’activité des rétrotransposons L1 est-elle contrôlée ?

La méthylation de l’ADN, une modification chimique impliquée dans la régulation épigénétique des gènes, est connue de longue date comme réprimant l’activité des rétrotransposons L1. Néanmoins, jusqu’à présent, la méthylation des rétrotransposons L1 n’était accessible que de façon globale, sans que l’identité de chaque copie soit connue. Pour identifier les copies potentiellement actives, et leur localisation dans nos chromosomes – une aiguille dans une botte de foin ! – l’équipe de Gaël Cristofari, directeur de recherche à l’Inserm, au sein de l’Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement de Nice (IRCAN, Inserm U1081, CNRS UMR7284, Université Côte d’Azur) a mis au point une nouvelle technique de cartographie épigénétique pour ces séquences très répétées. Grâce à cette approche, ils ont obtenu l’état de méthylation de chaque copie de L1, en lien avec leur position dans les chromosomes, dans de multiples types cellulaires et tissus. Ces travaux ont été publiés dans la revue Cell Genomics avec l’aide de leurs collaborateurs à l’IRCAN (équipe de Simona Saccani) et à l’Unité Épigénétique et Destin Cellulaire à Paris (équipe de Pierre-Antoine Defossez). Cette carte épigénétique des rétrotransposons L1 – la plus précise obtenue à ce jour –, croisée avec un très grand nombre de données génétiques et épigénétiques disponibles dans des bases de données publiques, a révélé une hétérogénéité inattendue parmi les copies de L1. 

 

« Jusqu’à présent, on pensait que les rétrotransposons L1 étaient massivement réactivés dans les tumeurs car celles-ci subissent une perte globale de méthylation de l’ADN, en particulier au niveau des séquences d’ADN répétées. En cartographiant la méthylation copie par copie, nous nous sommes aperçus que la perte de méthylation concernait surtout des L1 très anciens, des fossiles moléculaires, qui ont accumulé des mutations au cours de l’évolution des primates, et qui sont à présent incapables de se multiplier. En réalité, seule une petite poignée de rétrotransposons L1 intacts échappent à la répression épigénétique, et nous sommes à présent en mesure de les localiser parmi toutes les copies qui restent méthylées ou qui ont perdu leur méthylation mais qui sont mutées. » explique Gaël Cristofari. 


Cette nouvelle carte épigénétique a apporté son lot de découvertes. Par exemple, les changements épigénétiques des rétrotransposons L1 se propagent fréquemment dans les régions chromosomiques environnantes, et influencent la liaison de facteurs de transcription qui peuvent activer les rétrotransposons eux-mêmes, voire les gènes avoisinants. Par exemple, dans des cellules du cancer du sein, la perte de méthylation de certains rétrotransposons est associée à la liaison du récepteur aux estrogènes, conduisant à l’activation des rétrotransposons et à la synthèse de nouveaux ARN et protéines, dont certaines peuvent activer l’immunité antitumorale. Une autre surprise a été de constater que la perte de la méthylation ne rimait pas forcément avec réactivation, et que la plupart des copies étaient verrouillées par d’autres mécanismes épigénétiques en plus de la méthylation de l’ADN. 

Ces résultats permettent de mieux comprendre ce qui contrôle les gènes sauteurs chez l’Homme, comment ils sont réactivés et comment ils influencent les gènes autour de leur site d’intégration. Il s’agit d’une étape essentielle pour pouvoir exploiter cette partie encore peu explorée de notre ADN – la face cachée du génome – à des fins thérapeutiques, par exemple en utilisant des traitements épigénétiques pour forcer la réactivation des rétrotransposons dans les tumeurs et stimuler leur élimination par le système immunitaire, ou créer des vaccins antitumoraux. 

Ces travaux ont été rendus possibles grâce au soutien financier de l’Agence Nationale de la Recherche, de la Fondation pour la Recherche Médicale, de l’Institut National du Cancer, du programme transversal de l’Inserm sur la variabilité génomique (GOLD), du Cancéropôle PACA, de la Fondation ARC, et du Groupement de Recherche sur les Éléments Génétiques Mobiles (CNRS, GDR 3546). 
 
Références

Référence 

Lanciano S*, Philippe C*, Sarkar A, Pratella D, Domrane C, Doucet AJ, van Essen D, Saccani S, Ferry L, Defossez PA, Cristofari G. Locus-level L1 DNA methylation profiling reveals the epigenetic and transcriptional interplay between L1s and their integration sites. Cell Genomics (2024). https://doi.org/10.1016/j.xgen.2024.100498 (*contribution égale) 

Contact

Gaël Cristofari - gael.cristofari@univ-cotedazur.fr