Le Professeur Edward Lorenz, un chercheur éminent en économie au GREDEG (Groupe de Recherche en Economie, Droit et Gestion, UCA, CNRS) est spécialiste de l'innovation inclusive et de l'industrie du futur. Il a été invité à participer à un atelier sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) du 29 novembre au 1er décembre organisé par le Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies. Le professeur Lorenz a parlé de ses recherches sur l'innovation inclusive et le rôle des technologies nouvelles dans la réalisation des ODD. Les résultats de l'atelier serviront à la préparation du Forum des Nations Unies sur la science, la technologie et l'innovation qui se tiendra à New York en juin 2018.
Pour UCA news, Edward Lorenz a accepté de répondre à quelques questions sur l'innovation inclusive et l'industrie du futur.
Comment définiriez-vous l’innovation inclusive ?
En innovation le critère de base est la mise en œuvre par l’entreprise d’un produit, service ou procédé nouveau ou sensiblement amélioré. Dans les pays à faible niveau de développement technologique, l’innovation est principalement un processus d’adoption ou de modification des technologies déjà disponibles au niveau mondial. Ces formes d’innovation sont quelque fois décrites comme l’imitation duplicative ou créative.
L’innovation inclusive regroupe deux dimensions : une en termes de résultats issus et une en termes de processus.
En termes de résultats et de bénéfices, c’est une innovation qui doit cibler les besoins d’une population dite marginalisée ou défavorisée. Par exemple, ce sont les innovations qui peuvent résoudre les problèmes liés à un faible niveau de développement des infrastructures : pour la l’approvisionnement énergétique l’innovation inclusive pourra consister à développer les technologies d’énergie renouvelable, adaptées aux ressources propres du pays (éolienne ou solaire) mais à petite échelle adaptées aux besoins des petites entreprises ou exploitants non raccordées au réseau national.
Autre exemple en termes d’accès aux services de santé est de s’appuyer sur les plateformes d’argent mobile pour augmenter la couverture d’assurance santé aux populations défavorisées. En Kenya, par exemple, il existe plusieurs entreprises qui s’appuient sur la plateforme de paiement mobile M-Pesa de Safaricom pour permettre aux clients de souscrire les contrats d’assurance santé et recevoir des avantages complémentaires.
Un autre aspect de l’innovation inclusive est ce qu’elle peut apporter en termes de processus à une population. L’idée est d’élargir le nombre de parties prenantes impliquées dans le processus d’innovation. Il ne doit pas s’agir d’un phénomène d’innovation « top down » mais de s’appuyer sur les idées et la créativité potentielle de la population pour laquelle cette innovation est destinée. Par exemple, il existe un ensemble de politiques qui permet d’aider le développement technologique et organisationnel des clusters de micro and petites entreprises (MPE) y compris la formation professionnelle pour les salariés, une assistance technique ou encore un accès au crédit. La grande majorité des entreprises dans l’Afrique subsaharienne sont dans la catégorie de micro ou petite entreprise. Les MPEs offrent les opportunités d’emploi importantes à la jeunesse en plein essor en Afrique et pour être inclusive une politique de développement industriel doit répondre à leurs intérêts.
Quels sont les atouts de la France pour réussir la transition de l'industrie du futur ?
Le problème majeur est que cette nouvelle technologie lorsqu'elle est adoptée rapidement peut accentuer l'écart technologique entre les pays avancés et les pays en voie de développement. Par exemple, en 2015 le nombre d'envois de robots industriels installés était au-dessus de 30,000 pour le Japon et pour le Corée de Sud, alors que le nombre était un peu en-dessous de 350 pour l'Afrique dans son ensemble.
Un autre problème réside dans le fait que le changement technologique accroit un phénomène de polarisation du marché du travail. Plusieurs études portant sur les Etats Unis et les pays européens montrent que la nouvelle technologie (par exemple la robotisation) a tendance à éliminer le travail intermédiaire au milieu de l'échelle de revenu au profit du travail très qualifié et, paradoxalement, également au profit du travail très peu qualifié, ce qui peut engendrer des inégalités de revenus accrues.
Réussir la transition est réussir à avancer sans augmenter ou créer les inégalités. Et la France avec son système de dépenses sociales et de fiscalité pour réduire les inégalités de revenus, est plutôt bien placée à cet égard par rapport aux pays comme les Etats Unis avec un système de protection sociale relativement faible.
Quels rôles l'enseignement et la recherche ont-ils à jouer dans cette transition ?
De nouvelles compétences apparaissent avec le changement technologique et le développement de nouvelles technologies. Et l'enseignement et la recherche ont un rôle important à jouer, notamment dans le développement des nouvelles compétences nécessaires aux nouvelles technologies.
En France le développement depuis 10-15 ans des filières professionnalisantes et la participation des professionnels à l'enseignement est très positif et rendent l'université aujourd'hui plus connectée avec le monde de l'entreprise et plus adaptée à ses besoins de formation.
Et cela n'est pas forcément le cas dans tous les pays. Autre point clé, pour être inclusif, un système national éducatif doit créer des opportunités professionnelles pour tout le monde et donc investir également dans la formation continue afin de reconnaître l'expérience acquise pendant la vie professionnelle. En France aujourd'hui la part de la population âgée de 25 à 34 ans avec un niveau d'enseignement supérieur est de 44%. Pour l'Allemagne le chiffre est à 30,5%. Donc pour être inclusif un système éducatif doit également offrir des opportunités de développement des compétences pour la majorité de la population sans un niveau d'éducation supérieur.
L'Université doit également coopérer dans des projets technologiques avec un ensemble d'acteurs locaux ou nationaux ou internationaux. La contribution de l'Université nécessite de mettre en place des dispositifs de coopération avec l'industrie dans la recherche. Certes, les scientifiques, formés par l'Université qui vont ensuite travailler en entreprise, assurent déjà une partie de transfert des connaissances. Les coopérations qui existent dans les pôles de compétitivité et qui réunissent industriels, chercheurs et collectivités sont également un bel exemple de la contribution de la recherche collaborative à l'industrie du futur.
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Le Pr Lorenz travaille en étroite collaboration avec GLOBELICS, une communauté mondiale de chercheurs travaillant sur l'innovation et la construction de compétences dans le contexte du développement économique. Son travail a été financé par diverses organisations nationales et internationales, y compris l'OCDE, et la DARES du ministère du Travail, en France. Ses projets de recherche actuels comprennent un projet sur les compétences et les stratégies d'apprentissage pour l'innovation dans les PME pour l'OCDE et un projet sur le renforcement des compétences et l'innovation dans les micros et petites entreprises d’Afrique financé par le réseau Africalics. Il a fourni des conseils d'experts à différentes organisations internationales, dont l'OCDE, la Direction générale de la recherche et de l'innovation de la Commission européenne, la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (EUROFOUND) et le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). En 2017, il est intervenu, à l’invitation du Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies, au Forum Régional sur le développement des infrastructures et l’industrialisation durables en Afrique. Sur le même sujet, il a participé à une conférence organisée par l’ONUDI (Organisation des Nations Unies sur le Développement Industriel) dans le cadre du Forum sur la Science, la Technologie et l’Innovation organisé par les Nations Unies à New York.