Comment co-construire dans le même temps le contenu pédagogique et les outils numériques selon un cercle vertueux?
Barack Obama lançait à ses jeunes citoyens, courant 2014 : «Ne vous contentez pas de jouer avec votre téléphone, programmez-le !». Cette injonction, loin d’être unique dans son mandat, traduisait la préoccupation de l’ex-président américain de voir les adolescents s’approprier les savoir-faire d’une économie en construction. Désormais, l’introduction du numérique dans les salles de classe semble faire l’unanimité planétaire. Mais doit-elle constituer une discipline à part entière, centrée par exemple sur le code, ou bien a-t-elle vocation à modifier profondément la pédagogie, sans distinction disciplinaire ? Certains, Mark Zuckerberg en tête, promeuvent l’élaboration d’algorithmes pour un enseignement personnalisé sur interface numérique. D’autres soutiennent l’usage de « jeux sérieux » pour redonner le goût d’apprendre aux jeunes. Le 1er décembre, Inria organisait dans ses locaux sophipolitains une journée « Ed-Techs » pour débattre de ces questions. Représentants du Rectorat, chercheurs, enseignants et développeurs ont partagé leurs attentes et leurs expériences, sous l’oeil attentif du grand public.
Pour avoir expérimenté chacun un « serious game » conçu en lien avec leur matière, trois professeurs de collège confient leurs sentiments. Il a d’abord fallu faire face aux préjugés louant, notamment, les vertus de l’ennui, ce « mal nécessaire ». « De mon point de vue, jouer c’est élaborer des stratégies pour atteindre un objectif. Il ne s’agit donc pas d’un écart par rapport au travail », assure Philippe Cosentino, professeur en SVT. « En revanche, le jeu n’appartient pas qu’au monde numérique. Il y a encore des élèves pour qui les mathématiques sont un jeu en soit », souligne son voisin. En tous les cas, peu importe la méthode adoptée, l’attention des jeunes semble directement liée au « flow ». Le terme renvoie à un procédé de narration visant à maintenir sans relâche la tension entre l’interface et l’usager. « Le flow garantit d’atteindre un état d’immersion, donc d’apprentissage, optimal », poursuit Philippe Cosentino. Vient alors la question des réseaux sociaux. Car au-delà du jeu, les jeunes vivent bien souvent un smartphone à la main et communiquent entre eux via diverses plateformes sociales.
Vers un apprentissage individualisé?
Pour les séduire, faut-il alors introduire également cette dimension dans l’apprentissage? Autre interrogation, à partir d’un certain niveau de complexité des contenus, comment « ludifier »? Certaines questions demeureront ouvertes et inspireront vraisemblablement de prochaines expérimentations « in situ ». Cependant, des écueils paraissent difficilement surmontables. « Les « dys » (1) ,ne s’en sortent pas avec une souris ou avec une tablette. D’autres, ne sont tous simplement pas familiers de l’interface. Ce ne sont pas des « gamers » dans la vie privée. Face à ces singularités, devons-nous procéder par groupes de travail? », questionne un professeur. Dans la lignée de l’apprentissage individualisé (adaptative learning) promu par Mark Zuckerberg, la société educlever, membre de la French Tech Côte d’Azur, développe des logiciels d’accompagnement scolaire centrés sur l’objectif de la personne connectée. Lorsque l’élève réalise un exercice en ligne, le logiciel analyse ses « traces » cognitives et de compétences. La machine se trouve alors en mesure de dresser une « cartographie des savoirs » propre à chaque individu.
Le programme, conçu en partenariat avec des chercheurs (1) repère ainsi en particulier des difficultés bien ciblées dans la réalisation de certaines opérations. De ce point de vue, le logiciel « cartographie des savoirs », développé par educlever, se présente comme une alternative au contrôle de connaissances et aux processus classiques d’évaluation, nécessitant notamment la correction de copies. Le site de la société se targue en conséquence de proposer un outil grâce auquel l’enseignant mobilise ses ressources sur la « remédiation personnalisée». Pour l’université algérienne Badji Mokhtar d’Annaba, individualiser signifie également proposer des ressources d’apprentissage adaptées à la personne. L’établissement s’est en effet engagé à mettre en place une plateforme sur laquelle les utilisateurs disposent d’un environnement singulier, avec par exemple des recommandations de livres ou une mise en réseau avec de paires de « profil » proche.
Ces dispositifs, si divers soient-ils, soulèvent néanmoins unanimement la question de la sécurité des données. Nataliia Bielova, chercheuse dan l’équipe INDES d’inria, rappelle qu’à chaque connexion, un utilisateur laisse des données sur la toile. Ceci est valable évidemment pour les Google Apps For Education (GAFE) mais pas seulement. « Les clauses de confidentialité garantissent la non utilisation de ces informations pour la publicité. Cependant, rien n’est dit des autres usages possibles… », souligne la chercheuse, qui en appelle à la vigilance. Pour finir, en dépit de son enthousiasme non dissimulé pour les « Ed-Techs », Philippe Cosentino estime « qu’en tous les cas, le numérique ne doit pas se substituer au réel chaque fois qu’on a la possibilité d’expérimenter « en vrai » ».
Laurie CHIARA
(1) terme employé pour désigner divers troubles de l’apprentissage tels la dyscalculie, la dysorthographie, la dyslexie etc.
(2) http://www.cartodessavoirs.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=46&Itemid=543&lang=fr