Les astéroïdes Ryugu et Bennu sont des agrégats nés de la destruction d’un gros astéroïde

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Publié le 18 novembre 2020 Mis à jour le 15 janvier 2021
Date(s)

le 27 mai 2020

astéroides
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Quelle est l’origine des astéroïdes Bennu et Ryugu, de leur forme en toupie et de leur différent degré d’hydratation ? Un article publié dans Nature Communications par Patrick Michel du laboratoire Lagrange, Ronald-Louis Ballouz et leurs collaborateurs, dont Brian May, Astrophysicien et célèbre guitariste du groupe de rock Queen, présente des simulations numériques de destruction de gros astéroïdes, telles qu’elles se produisent dans la ceinture des astéroïdes, entre Mars et Jupiter, qui fournissent une réponse à ces mystères. Elles montrent que lors de telles destructions, les fragments produits s’échappent puis se ré-agglomèrent pour former des agrégats dont certains ont une forme de toupie avec des degrés d’hydratation variés, expliquant la diversité observée et la faible densité de ces objets. Les propriétés globales de Ryugu et Bennu seraient donc le produit direct de la destruction de leur corps parent dans la ceinture des astéroïdes.

« Les images des astéroïdes Ryugu et Bennu (de 1 km et 500 mètres de diamètre, respectivement) prises par les sondes japonaise Hayabusa2 (JAXA) et américaine OSIRIS-REx (NASA) nous ont permis de découvrir deux nouveaux petits mondes fascinants qui présentent pourtant des similarités très surprenantes » explique Patrick Michel (Fig. 1), Directeur de Recherche CNRS au Laboratoire Lagrange (Université Côte d'Azur, Observatoire de la Côte d'Azur, CNRS). En particulier, ces deux astéroïdes de type carboné ont une même forme de toupie et une même densité (1,19 g/cc ; à pleine plus que l’eau). Cependant, leurs surfaces présentent un degré d’hydratation différent. Ryugu semble ainsi plus faiblement hydraté que Bennu, ce qui suggère que ces deux astéroïdes ont « vu » l’eau, mais que le matériau de Ryugu a subi un plus grand échauffement que celui de Bennu. « La forme des astéroïdes et leur degré d’hydratation nous servent de véritables traceurs de leur histoire et de leur origine » explique Brian May, co-auteur de l’article. « Ces propriétés (forme, densité, degré d’hydratation plus ou moins élevé) sont-elles la conséquence des évolutions de ces objets, une fois formés, ou le produit immédiat de leur formation ? » se demande Ron Ballouz, deuxième auteur principal de cette étude. Pour des raisons expliquées ci-dessous, c’est ce dernier scénario que les auteurs privilégient et qu’ils démontrent au moyen de simulations numériques de destructions de gros astéroïdes.

La plupart des astéroïdes de taille inférieure à quelques dizaines de kilomètres sont des fragments de plus gros corps détruits par collision dans la ceinture des astéroïdes. Une fois formés, certains subissent des perturbations qui peuvent les transporter sur des trajectoires qui croisent celles de la Terre, telles que celles de Ryugu et Bennu, les rendant notamment plus aisément accessibles aux missions spatiales. Dans les années 2000, Patrick Michel et ses collaborateurs avaient été les premiers à démontrer au moyen de simulations numériques de collisions entre astéroïdes, que lorsqu’une telle collision se produit, la fragmentation des corps aboutit à de tous petits fragments, d’une centaine de mètres de diamètre au plus. Lors de leurs éjections de leur corps initial, les simulations montrent que ces petits fragments peuvent ensuite se ré-agglomérer du fait de leurs attractions mutuelles pour former des agrégats plus gros [1]. Ces simulations reproduisent les caractéristiques de la vingtaine de familles d’astéroïdes dans la Ceinture, qui correspondent chacune à un groupe d’astéroïdes issus de la destruction d’un plus gros corps initial, et sont cohérentes avec les faibles densités mesurées des astéroïdes en général, qui indiquent qu’ils sont remplis d’une fraction de vide s’expliquant très bien par une structure en agrégat. « Cependant, les simulations n’étaient pas encore assez sophistiquées et les ordinateurs pas assez puissants pour pouvoir calculer la forme de ces agrégats » explique Patrick Michel. De même, le calcul de l’échauffement produit par les collisions, permettant de déterminer si du matériau initialement hydraté pouvait subir une déshydratation lors de la collision, restait très incertain.

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Figure 1 : à gauche : Image de Ryugu (1 kilomètre de diamètre) par la sonde Hayabusa2 (JAXA) ; à droite : Image de Bennu (500 mètres de diamètre) par la sonde Hayabusa2 (JAXA). La forme similaire de toupie est remarquable. De gros cratères bien préservés sont aussi présents sur leur boursouflure équatoriale, et sont bien identifiables sur l’image de Ryugu (à gauche). Crédits : NASA, Univ. Arizona/JAXA, Univ. Tokyo et al.

La première énigme est donc de savoir si la forme en toupie de Ryugu et Bennu est le résultat immédiat de leur formation lors de la destruction de leur corps parent. Des études précédentes ont montré que ce type de forme peut être expliqué par un effet thermique, appelé YORP, qui peut accélérer la vitesse à laquelle un astéroïde tourne sur lui-même. Lors de cette accélération, si l’astéroïde a une forme proche d’une sphère et qu’il a une structure en agrégat, le matériau situé vers les pôles peut descendre vers l’équateur et s’y accumuler pour former un bourrelet équatorial donnant la forme de toupie à l’astéroïde. Cet effet nécessite plusieurs millions d’années pour produire une telle forme, en supposant qu’il ne cesse d’être actif. Or, de gros cratères d’impact sont présents sur les bourrelets équatorials de Ryugu et Bennu (Fig. 1), ce qui nécessite que ces bourrelets aient été créés avant que des impacts produisent ces cratères, donc très tôt dans l’histoire des deux objets. Les auteurs ont donc poussé leur modélisation de destruction/ré-agglomération pour calculer la forme des agrégats finalement produits par la destruction d’un gros astéroïde et vérifier si cette forme pouvait être le produit immédiat de la ré-agglomération à leur origine. « Nous avons alors trouvé qu’effectivement, de telles formes de toupie peuvent être crées » indique Patrick Michel (Fig. 2). « Nous avons aussi identifié les conditions d’impact et les paramètres mécaniques des agrégats les plus favorables à l’aboutissement à une telle forme » précise Ron Ballouz. Ces résultats permettent ainsi de résoudre le paradoxe initial, reposant sur l’effet YORP, qui nécessite un temps long pour produire cette forme, une fois les objets créés, et la présence des gros cratères qui nécessitent que cette forme soit acquise très tôt dans l’histoire des deux objets.

La deuxième énigme est la présence de minéraux hydratés sur les deux astéroïdes, avec un degré plus élevé d’hydratation sur Bennu que sur Ryugu. Leur corps parent devait donc contenir des minéraux hydratés, mais se pose la question suivante : aux énergies d’impact dans la Ceinture des astéroïdes, l’échauffement produit par l’impact ne devrait-il pas déshydrater complètement le matériau et les agrégats résultant de cette destruction ? Et sinon, peut-on former des agrégats qui auront chacun un niveau d’hydratation différent, même s’ils sont issus d’un même corps hydraté de façon homogène ? C’est ce que les simulations de Ron Ballouz ont montré. « Selon d’où vient à l’intérieur du corps parent le matériau qui se ré-agglomère », explique Ron Ballouz, « le niveau d’échauffement subi peut-être très différent ». Les paires d’images stéréos effectuées par Brian May et Claudia Manzoni qui montrent en 3D le résultat immédiat de la destruction d’un gros astéroïde montrent bien cette grande diversité dans ce degré d’échauffement subi par le matériau (Fig. 2). « Lors d’une même collision, il est donc possible de former un agrégat avec du matériau qui aura subi très peu d’échauffement, et donc aura conservé un degré plus élevé d’hydratation comme Bennu, et un autre agrégat avec du matériau plus chauffé et donc plus faiblement hydraté comme Ryugu » s’enthousiasme Brian May! Ainsi, Bennu et Ryugu pourraient avoir pris leur forme et leurs différents niveau d’hydrations lors de la destruction d’un même corps parent ! Ils pourraient donc avoir une origine commune et provenir de la même famille d’astéroïdes, ce que les analyses des échantillons permettront de vérifier en mesurant précisément leur composition et datant l’âge de leur formation.

Figure 2

Figure 2bis

Figure 2 : en haut : paires d’images stéréos effectuées par Brian May et Claudia Manzoni à partir des modélisations numériques d’impact montrant les premiers instants après la destruction d’un astéroïde avant que les fragments ne s’échappent et se ré-agglomèrent pour former des agrégats ; les couleurs indiquent l’échauffement produit par l’impact (du rouge au bleu, du plus au moins élevé), montrant que certains matériaux subissent de l’échauffement (rouge) et d’autres pas (bleu). Pour être vue en 3D, la paire appelée « parallel view » doit être regardée en vision parallèle, celle appelée « cross-eye view » doit être visualisée en vision croisée [2]. En bas : séquence d’images montrant la formation d’un agrégat par ré-agglomération de fragments produits lors de la destruction d’un astéroïde, dont la forme finale, 5 heures après le début du processus, sera similaire à celle de Bennu et Ryugu.

[1] Michel, P. et al., 2001. Collisions and gravitational reaccumulation: forming asteroid families and satellites. Science 294, 1696-1700 (+ couverture du Journal)
[2] Pour une explication, voir : https://www.image-en-relief.org/stereo/comment-faire/voir-en-relief/172-vision-croisee-vision-parallele. Une autre paire et des vidéos sont fournies dans l’article, avec un autre mode de visualisation.

Auteurs : 

Patrick Michel, directeur de recherche CNRS, laboratoire Lagrange (CNRS-UCA-OCA)
Ronald-Louis Ballouz, Post-doctorant OSIRIS-REx à l’Université d’Arizona (USA) 
Claudia Manzoni, de la London Stereoscopic Company.

 Image illustration : CNES