La santé des plantes par la racine

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Publié le 18 novembre 2020

Rencontre avec Justine Lipuma, fondatrice de la start-up Mycophyto qui exploite un phénomène vieux de 450 millions d’années pour promouvoir le biocontrôle.

Les yeux collés contre les lentilles d’un microscope, les frontières du monde deviennent floues. L’infiniment petit a l’air de livrer un univers baigné de planètes nouvelles. Ce petit monde apparait dans une transparence couleur vintage et parfois s’anime. Dans un des laboratoires de l’Institut Sophia Agrobiotech (ISA), Justine Lipuma épie ainsi des champignons grands comme environ la moitié d’un cheveu. Pour cette microbiologiste de formation, habituée aux bactéries, c’est énorme. Dans des boîtes en forme de disque, elle cultive des plantes de laboratoire programmées pour ne développer que leurs racines. Elle place également dans cet environnement minimaliste ses champignons invisibles à l’oeil nu, puis guette l’apparition de mycorhizes. Il s’agit du terme employé pour résumer un phénomène naturel vieux de 450 millions d’années. « La formation d’interactions à bénéfice réciproque avec les champignons a alors permis aux plantes de sortir de l’eau », révèle Justine Lipuma.


En colonisant les végétaux par la racine, les champignons les ont en effet fournis en phosphate, obtenant en contrepartie du carbone. Or, ce mécanisme se trouve actuellement mis en péril du fait des techniques modernes de production. « Si on apporte pré-mâchés à la plante ses éléments nutritifs, par exemple au moyen d’engrais, elle n’ira pas les chercher ailleurs », explique la jeune chercheuse. Ainsi, les produits phytosanitaires utilisés en agriculture pour lutter contre les nuisibles et pour favoriser la croissance des végétaux coûtent cher aux exploitants. « Non seulement ils ne fonctionnent pas toujours, mais surtout, la législation sur leur composition s’étant renforcée, ils sont de plus en plus interdits », explique la biologiste.
En outre, en cosmétique et dans la parfumerie par exemple, certains industriels affichent un label 100% naturel qu’ils ne sont pas réellement en mesure de garantir. Justine Lipuma, soutenue par Christine Poncet (Directrice adjointe d’ISA) a donc décidé, après sa thèse, de se lancer dans l’aventure de l’auto-entrepreneuriat et de monter une start’up (1) pour ré-introduire la mycorhization dans les champs. « Il existe déjà un marché. On vend aux exploitants des souches commerciales génériques », raconte-telle. Avec cette méthode, comme 85% de plantes sont mycorhizables, l’interaction souhaitée se produira probablement. Toutefois, il n’existe aucune garantie que celle-ci se traduise par un bénéfice pour les végétaux…

Un package innovant en cours d’élaboration

« L’interaction en elle-même est peu spécifique d’un champignon et d’une plante en particulier, mais il semble que certains microorganismes aident une espèce donnée beaucoup mieux que d’autres », développe la chercheuse.
Avec le projet Mycophyto, elle propose donc un « package » innovant permettant aux exploitants de faire le choix du biocontrôle. Justine Lipuma propose de repérer les champignons indigènes à partir d’un prélèvement de terrain, d’étudier les interactions qui paraissent fonctionner le mieux, de les sélectionner, d’amplifier leur nombre et enfin de réintroduire dans les terres des plantes dont la colonisation a été vérifiée.
« Je travaille maintenant à raccourcir le temps nécessaire à la mycorhization, nécessitant actuellement de 3 à 6 mois », précise-t-elle. Plusieurs contrats de Recherche et Développement sont ainsi sur le point de se concrétiser. La microbiologiste devrait par exemple démarrer fin avril un projet européen sur la lavande. L’objectif sera de vérifier si les champignons peuvent empêcher le dépérissement des plants. « Nous savons que les microorganismes ont un effet barrière au niveau des pathogènes du sol, parce qu’ils colonisent les racines. Mais on sait aussi que les champignons boostent le métabolisme global de la plante, donc qu’ils améliorent potentiellement son système immunitaire. C’est ce que j’espère démontrer », s’enthousiasme la chercheuse.
Le cas échéant, le processus devrait également s’avérer pertinent pour obtenir une production florale en plein champs moins dépendante des aléas climatiques, donc plus constante. L’étude pourrait alors s’étendre à toute une série de problématiques urgentes, allant de la culture de la tomate à celle des Oliviers, actuellement décimés par la bactérie xylella en Italie du Sud. « En attendant, avec mon projet sur la lavande et un autre sur les roseraies, qui devrait démarrer dans la foulée, j’interviens auprès des producteurs sous contrat avec des industriels, pour modifier avec eux l’itinéraire de culture », se réjouit la chercheuse.

(1) Justine Lipuma n’avait pas de capital de départ, mais elle a reçu le premier prix de la Fondation Université Côte d'Azur pour la création et reprise d’entreprise, d’un montant de 20 000 €. Elle a également intégré l’incubateur PACA-Est en juin 2016, ce qui lui permet de disposer d’une avance remboursable de 20 000€ supplémentaires. Lauréate également du prix pépite I-LAB de 10 000€, Justine Lipuma a intégré l’Unité Mixte Technologique FioriMed (www.umt-fiorimed.fr).

Laurie Chiara

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