Horloges biologiques : une boîte à musique dans chaque cellule

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Publié le 18 novembre 2020

Alors que tout ce qui « commande » dans le corps semblait réservé au cerveau et n’a longtemps sollicité l’intérêt que des neurosciences, les horloges biologiques se sont révélées, contre toute attente, un mécanisme fondamental ayant « résisté » à l’évolution. Le comité Nobel les met cette année à l’honneur en attribuant le prix de Médecine ou de physiologie à Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young

L’horloge biologique n’est pas une coquetterie humaine régissant son instinct de reproduction. Ce qui fait que la découverte de sa réalité moléculaire vaut cette année le prix Nobel de Médecine à Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young, est peut-être même son universalité, qui en fait un mécanisme fondamental au sein du vivant. Car, non seulement le terme d’horloge biologique désigne en fait un petit groupe de gènes, mais en plus, ces derniers fonctionnent dans toutes les cellules des organismes et ce, depuis sans doute 3 milliards d’années. Alors que tout ce qui « commande » dans le corps semblait réservé au cerveau et ne sollicitait l’intérêt que des neurosciences, notre minuterie intérieure s’est révélée, contre toute attente, un mécanisme fondamental ayant « résisté » à l’évolution, depuis l’apparition des cyanobactéries.

«  L’horloge correspond à un mécanisme d’adaptation par anticipation. Elle permet à l’organisme de savoir qu’il va y avoir un changement et ainsi d’adapter sa physiologie légèrement en avance. Et chez les animaux, ce sont toujours les mêmes protéines, les mêmes gènes impliqués, chez la  drosophile comme chez l’homme », révèle Franck Delaunay, responsable de l’équipe Biologie du rythme circadien de l’Institut de Biologie Valrose (iBV). Dans notre espèce, on distingue dix à quinze gènes principaux, répartis sur divers chromosomes. Beaucoup codent pour des protéines chargées d’activer d’autres gènes (il s’agit dans ce cas de facteurs de transcription) ou d’autres protéines (il s’agit alors d’enzymes de la famille des kinases). Mais comment ce système se met-il en route ?

« La lumière (1), en agissant sur des récepteurs de la rétine, stimule deux voies nerveuses distinctes. La première, conduit aux aires visuelles du cerveau, où seront constituées les « images » que nous pensons percevoir directement. La seconde rejoint une zone cérébrale appelée hypothalamus. C’est là que se situe le « chef d’orchestre » des horloges biologiques, au niveau des « noyaux suprachiasmatiques ». L’horloge hypothalamique, capable de fonctionner en l’absence de tout repère temporel externe, est remise à l’heure chaque jour par la lumière via cette seconde voie. En retour, elle synchronise les horloges situées dans les organes et tissus périphériques », poursuit le chercheur.

 

Un mécanisme auto-régulé

 

Voilà comment le chef d’orchestre ouvre son concerto quotidien et adresse ses commandes aux différents instruments. Mais ce qui assure la cadence régulière et subtile du phénomène est un mécanisme bien connu en biologie, appelé « rétrocontrôle négatif ». Les trois Nobel 2017 ont postulé les premiers son existence dans les mécanismes circadiens. Depuis, on sait par exemple que le gène « Period », qui synthétise la protéine éponyme, va interagir avec plusieurs gènes et enzymes, impliqués par exemple dans certains comportements, dans le métabolisme ou dans la division cellulaire. Or, à partir d’un certain seuil de concentration dans la cellule, il va pour ainsi dire se censurer, en inhibant progressivement sa propre expression. Au terme de ce processus, le signal d’inhibition (la présence de Period) se sera donc auto-détruit spontanément et un nouveau cycle pourra commencer.

Toutefois, ce phénomène doit se produire à la bonne vitesse, ni trop vite ni trop lentement, au risque d’induire des décalages de phase dans l’apparition de certains phénomènes (comme l’envie de dormir). Les horloges fonctionnent ainsi sur des cycles d’environ 24 heures. Mais il existe aussi des phases favorables à certains événements. Par exemple, les cellules de la peau se divisent plutôt en début de nuit et on s’endort plus facilement entre 22h et minuit. Chez la drosophile, l’éclosion se déroule normalement le matin. C’est ce qui a permis, dans les années 70, de mettre les scientifiques sur la piste d’une horloge de nature génétique. « Seymour Benzer avait identifié des mouches avec une perte du rythme d’éclosion, qui se transmettait de génération en génération. Puis dans la décennie qui a suivi, les techniques de biologie moléculaire, le clonage des gènes, ont permis l’essor des recherches sur ce thème. Le prix Nobel sacre ainsi des travaux publiés en 1984 », explique Franck Delaunay.

Néanmoins, nous savons aujourd’hui qu’il existe une certaine robustesse du rythme dans le vivant, qui empêche les organismes de sombrer dans le chaos dans les latitudes extrêmes, par exemple là où la nuit ou le jour semblent durer une saison entière. En revanche, le décalage horaire chronique (par exemple chez les personnels navigants) ou les horaires de travail non conventionnels (comme l’alternance d’horaires de jour et de nuit) peuvent perturber les horloges biologiques. « Le cancer du sein est ainsi reconnu comme une maladie professionnelle au Danemark chez les hôtesses de l’air. Il n’est pas considéré comme étant la cause de la pathologie mais un facteur à part entière », souligne le spécialiste. A contrario, un certain nombre de maladies peuvent aussi perturber les rythmes.

 

Perspectives scientifiques

 

L’équipe de Franck Delaunay étudie les gènes intermédiaires entre ceux de l’horloge et ceux qui auront par exemple une action sur le métabolisme. Car dans le corps, les choses se passent un peu comme dans les mécanismes de réactions en chaîne mis en scène sur grand écran. De façon très imagée, nous pourrions dire qu’une balle glisse sur une tige horizontale, active des leviers, déclenche des chutes en série, pour ensuite remplir un récipient de liquide, activer un briquet, allumer une bougie, brûler un fil, enclencher un tir de fléchette et enfin faire basculer un interrupteur et éclairer une pièce… Il y a donc toute une série de mécanismes à étudier pour comprendre comment une balle permet d’éclairer une pièce, ou comment un gène induit un phénomène.

Une des volets de l’étude cible le foie. « Nous voudrions savoir comment les états de steatose (2), qui touchent actuellement 25% d’une population adulte, vont influencer la coordination circadienne et par quelles voies, en retour, cela devient un facteur de risque pour la maladie », résume Franck Delaunay.

L’équipe s’intéresse aussi à la façon dont l’horloge est couplée avec la machinerie du cycle cellulaire. Ces travaux permettraient par exemple d’expliquer enfin pourquoi les cellules se divisent à des moments précis. Plus généralement, l’avancée des connaissances sur les horloges biologiques pourrait présenter des applications en médecine personnalisée. « Une des pistes sur lesquelles on a déjà des preuves de principe est que les médicaments n’ont pas la même efficacité selon l’heure d’administration. C’est ce qui a donné naissance au concept de chronothérapie. Cela permet notamment de diminuer très fortement la toxicité des molécules dans le traitement du cancer. On a dénombré plus de 400 molécules thérapeutiques dont la tolérance varie en fonction de l’heure d’administration chez l’animal ou l’homme », termine le chercheur.

 

(1)        Selon les espèces vivantes, il peut également exister des synchroniseurs métaboliques, sociaux, olfactifs ou de diverses autres natures.

(2)        Maladie communément appelée le « foie gras d'origine non- alcoolique »

Contact :
Laurie Chiara : laurie.chiara@unice.fr