Des sondes fluorescentes pour mieux comprendre la division cellulaire

  • Recherche
Publié le 18 novembre 2020

Grâce à une avancée technologique reposant sur le développement de sondes fluorescentes originales, les équipes d’Yves Mély (Laboratoire de biophotonique et pharmacologie de Strasbourg), d’Alain Burger (Institut de Chimie de Nice), d’Yitzhak Tor (University of California, San Diego), et de Christian Bronner et Marc Ruff (Institut de Génétique et de Biologie Cellulaire et Moléculaire de Strasbourg) apportent un début de réponse d'un mécanisme physiologique fondamental qui concerne la conservation de l’identité cellulaire lors de la réplication de l’ADN et implique un tandem protéique (UHRF1/DNMT1). Cette étude donne un nouvel éclairage sur le mécanisme de fonctionnement de ce ménage à 3 et permet d’envisager le développement de nouvelles pistes thérapeutiques pour lutter contre le cancer.

Cette étude a été publiée dans la revue Journal of the American Chemical Society (2017), 139, 2520.

 Figure 1

Figure 1. Suivi par fluorescence du basculement de cytosines méthylées par le domaine SRA de la protéine UHRF1. L’incorporation d’analogues fluorescents de nucléobases à proximité de la cytosine méthylée, une forte augmentation de fluorescence est observée permettant le suivi et la caractérisation en temps réel de ce basculement.

Les marques épigénétiques constituent le véritable support de la mémoire cellulaire parce qu’elles permettent à une cellule d’exprimer un nombre bien défini de gènes qui vont déterminer le type cellulaire et donc l’identité d’une cellule. Par exemple pour qu’une cellule du rein reste toujours une cellule rénale, certains gènes doivent rester « muets » ou « silencieux » alors que d’autres doivent toujours être exprimés. La méthylation à des endroits stratégiques des cytosines du génome (une des 4 bases de l'ADN) assure entre autre autres qu’un gène soit rendu silencieux. Lorsque les cellules se multiplient, elles doivent transmettre ces informations à la descendance en recopiant fidèlement ces méthylations de l'ADN au bon endroit, sans quoi la cellule perdrait son identité. Ceci signifierait perdre ses capacités à remplir ses fonctions et dans certains cas, les rendre anormales comme par exemple dans le cas du cancer et des maladies neuro-dégénératives de type Alzheimer.

Ainsi, chaque type cellulaire est caractérisé par un profil de méthylation propre qui conditionnera la fabrication des protéines caractéristiques de chaque cellule. Il en résulte que, lors de la division cellulaire, les profils de méthylation doivent être recopiés de manière hautement fidèle. La cytosine méthylée seule n’existe pas à l’état naturel et c’est donc une cytosine nue qui est incorporée lors de la duplication de l’ADN provoquant l’apparition d’un ADN hémi-méthylé où un seul des deux brins de l’ADN est méthylé. L'une des premières étapes de la duplication du profil de méthylation de la cellule mère à la cellule fille implique, par conséquent, la reconnaissance de l’ADN hémiméthylé. La méthylation de l’autre brin d’ADN est assurée par l’enzyme DNMT1 (DNA méthyltransférase 1). Pour aider DNMT1 à trouver les cytosines à méthyler, il lui faut un guide, en l’occurrence la protéine UHRF1 (Ubiquitin-like, containing PHD and RING finger domains, 1) dont le domaine SRA (Set and Ring Associated) reconnaît l’ADN hémiméthylé. Cette reconnaissance est suivie d’un basculement de la cytosine méthylée hors de la double hélice d’ADN, afin de permettre à UHRF1 de marquer une pause, probablement pour lui permettre de « dialoguer » avec DNMT1 dans le but de lui indiquer quelle cytosine est à méthyler sur l’autre brin. La manière dont s’opère le dialogue de ce ménage à trois, entre UHRF1, la DNMT1 et l’ADN, reste un mystère.

Dans ce contexte, l'objectif des chercheurs a été de suivre et caractériser la dynamique du basculement des cytosines méthylées. Pour bien comprendre ces phénomènes il faut développer des outils spécifiques et en tant que chimistes c’est à cette étape clef qu’intervient l’équipe d‘Alain Burger à l'Institut de Chimie de Nice. « Nous sommes des architectes de la matière organique. Nous synthétisons des outils spécifiquement dédiés à la visualisation et à l’étude des acides nucléiques, et collaborons avec des partenaires biologistes afin de les valider. Dans le cas présent, nous avons développé des sondes fluorescentes intelligentes capables de distinguer la présence d’un méthyle dans l’ADN et de détecter la liaison de l’ADN avec sa cible protéique par un signal lumineux facilement mesurable. » En incorporant ces sondes à des positions choisies d’un ADN double brin hémiméthylé ou non méthylé, les chercheurs ont montré qu’elles étaient capables de suivre de manière sensible et fidèle le basculement des cytosines méthylées, induit par le domaine SRA de UHRF1 (Figure). Ces outils ont permis également de montrer que la liaison du domaine SRA avec l’ADN est rapide et donc compatible avec une activité de lecture de UHRF1 pour trouver les sites à méthyler sur le brin d’ADN nouvellement formé. Par contre, l’interaction de SRA avec la cytosine méthylée et le basculement de cette dernière dans la poche de liaison constituent un événement lent qui laisse le temps à UHRF1 de recruter la DNMT1 au bon endroit.