Confinement forcé : biophysique de l'invasion fongique

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Publié le 18 novembre 2020 Mis à jour le 22 novembre 2020
Date(s)

le 12 septembre 2020

La première étape lors de nombreuses infections fongiques d’animaux ou de plantes est la pénétration active des tissus hôtes. Chez l’homme par exemple, la pénétration active de l'épithélium intestinal par le pathogène fongique opportuniste Candida albicans est critique pour sa dissémination de l'intestin vers la circulation sanguine. Comment les agents pathogènes fongiques font-ils face aux forces physiques, telles les forces résistives lors de l'invasion des cellules hôtes ? En utilisant un polymère organo-minéral de la classe des silicones de rigidité variable, les chercheurs ont évalué la capacité de ce pathogène fongique à pénétrer et à envahir des substrats. Ce travail interdisciplinaire révèle un seuil de rigidité pour la croissance invasive, ainsi que des changements dramatiques dans la croissance et la morphologie fongiques en réponse aux forces mécaniques. Ces travaux sont publiés dans la revue BMC Biology au mois de septembre.

Nombre de cellules allongées se développent par extension à l’apex, ce qui leur permet d'explorer leur environnement, dans lequel elles perçoivent à la fois des signaux chimiques et physiques. Par exemple, un pathogène fongique reçoit des signaux chimiques des cellules hôtes, mais répond également au contexte physique d'un site d'infection, comme les contours, les barrières et le confinement. Pour endommager les cellules hôtes, les pathogènes fongiques doivent perturber les barrières membranaires cellulaires et, dans de nombreux cas, pénétrer activement dans les tissus. Les forces générées par la croissance des apex des filaments, associées aux enzymes sécrétées, entraînent une pénétration cellulaire et tissulaire. Alors que de nombreuses études ont abordé la façon dont les pathogènes réagissent au stress chimique, on sait peu de choses sur la façon dont ils font face au stress physique, c'est-à-dire à la force résistive, lors d'une invasion. Pour répondre à cette question, les chercheurs ont adopté une approche interdisciplinaire, avecles efforts conjugués des groupes Croissance polarisée chez la levure (Institut de Biologie Valrose, Université Côte d'Azur, CNRS, Inserm) et Microfluidique, physico-chimie et biologie aux interfaces (Institut de Physique de Nice, Université Côte d'Azur, CNRS), examinant la capacité des cellules filamenteuses de Candida albicans à pénétrer et à croître de manière invasive dans des substrats de rigidité différente.

Cet effort collaboratif tire parti des méthodes de microfabrication avec le PDMS, polymère de la classe des silicones pour construire des chambres de confinement de rigidité différente, dans lesquelles nous suivons et quantifions le comportement de croissance. Les chercheurs en biologie cellulaire et en physique de la matière molle ont démontré qu'il existe un seuil de rigidité pour la pénétration fongique d'environ 200 kPa, équivalent à une semelle en caoutchouc rigide. Les filaments fongiques peuvent pénétrer dans des substrats en dessous de ce seuil, croitre avec une vitesse d'extension réduite et des repliements spectaculaires. Les chercheurs ont utilisé la microscopie sur cellules vivantes pour suivre la croissance cellulaire dans le PDMS et ont observé des changements frappants dans la forme des cellules, avec des filaments plus courts et plus larges. À l'aide d'un modèle physique, ils ont pu déterminer pour ce pathogène fongique une pression de turgescence, c'est-à-dire la force à l'intérieur des cellules qui les maintient dilatées, d’environ 2 MPa – soit 10 fois la pression dans un pneu de voiture. Les changements de forme cellulaire pendant la croissance invasive ne sont pas dus à une perte de polarité cellulaire ; en effet, pendant ce processus, il y a augmentation du taux de la protéine clé de la polarité, hautement conservée, Cdc42, à l'extrémité du filament. De fait, les changements de morphologie se produisent à une distance substantielle du site de croissance, c'est-à-dire de l’apex du filament, suite à une compression mécanique. Cette étude interdisciplinaire, dans laquelle une combinaison de méthodes de biologie moléculaire, de microscopie sur cellules vivantes, de microfabrication et de modèle physique a été utilisée, révèle que c’est la rigidité de la cellule hôte qui dicte vraisemblablement le type de cellule que les pathogènes fongiques peuvent pénétrer et endommager.

Image Arkowitz 

Croissance invasive de Candida albicans, suite à son confinement dans une microchambre de PDMS (coin supérieur droit). La cellule filamenteuse (verte) et le site de croissance à l’apex (rouge) sont indiqués pendant la croissance dans le PDMS. Notez le repliement du filament au centre et le bout du filament qui sort du PDMS pour pénétrer dans la microchambre en bas à gauche.

Auteurs : Charles Puerner, Nino Kukhaleishvili, Darren Thomson, Sebastien Schaub, Xavier Noblin, Agnese Seminara, Martine Bassilana and Robert A. Arkowitz

Contacts : Robert Arkowitz, Directeur de Recherche CNRS Equipe LABEX SIGNALIFE Polarized growth in yeast - Institut de Biologie Valrose (iBV) - - http://ibv.unice.fr/research-team/arkowitz/