Cibler les cellules sénescentes sans les éliminer pour vivre plus longtemps en bonne santé

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Publié le 18 novembre 2020 Mis à jour le 15 janvier 2021
Date(s)

le 9 juin 2020

femme dans la nature
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Eliminer les cellules sénescentes qui s’accumulent dans l’organisme est une stratégie thérapeutique considérée comme très prometteuse pour lutter contre le vieillissement. Les travaux d’une équipe menée par Dmitry Bulavin, chercheur Inserm à l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (Inserm/CNRS/Université Côte d’Azur), viennent remettre en cause cette approche. Les chercheurs y montrent, sur la souris, qu’au niveau du foie les premières cellules sénescentes apparaissent parmi une population de cellules hépatiques qui jouent un rôle majeur dans la détoxification de l’organisme. En étudiant les effets de l’élimination de ces cellules hépatiques sénescentes, les chercheurs ont observé que celle-ci aggravait la détérioration des fonctions hépatiques davantage encore que le vieillissement. Leurs résultats publiés dans le journal Cell Metabolism apportent ainsi de nouvelles pistes pour assurer une espérance de vie plus longue en bonne santé.

Le vieillissement est associé à la détérioration de nombreuses fonctions de l’organisme et à l’apparition de pathologies liées à l’âge. La vue, l’ouïe, la fonction musculaire, cardiaque ou rénale déclinent et le risque de cancer, de maladie cardiovasculaire ou encore de démence progresse régulièrement.

L’accumulation dans les tissus de cellules « sénescentes » a par ailleurs été observée. Il s’agit de cellules incapables de se diviser, ayant perdu leur fonction, mais pouvant induire une inflammation et la production de résidus oxydés toxiques pour l’organisme. L’élimination de ces cellules sénescentes de l’organisme pour réduire l’inflammation et restaurer le fonctionnement des tissus et organes est considérée comme une stratégie thérapeutique intéressante. Des médicaments dont le fonctionnement repose sur l’élimination des facteurs de survie des cellules sénescentes (conduisant ainsi à leur mort) sont même en développement.

Néanmoins, avant de poursuivre le développement de ces stratégies thérapeutiques, Dmitry Bulavin, chercheur Inserm à l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (IRCAN, Inserm/CNRS/Université Côte d’Azur) et son équipe estiment qu’il est d’abord nécessaire de mieux comprendre l’émergence de ces cellules, leurs conséquences sur l’organisme et d’étudier si leur élimination n’aurait pas des effets néfastes inattendus.

Pour cela, les chercheurs ont développé des modèles de souris génétiquement modifiées qui permettent de suivre in vivo l’apparition et la localisation des cellules sénescentes au cours du temps, en surveillant l’expression du gène p16, un marqueur de sénescence commun à tous les types cellulaires. Certains des modèles étudiés avaient aussi la capacité d’éliminer spontanément leurs cellules exprimant fortement p16.

Une fibrose à la place de la sénescence

Les chercheurs ont observé que les premières cellules sénescentes apparaissaient principalement et en grande quantité au niveau du foie et plus particulièrement au sein des cellules endothéliales sinusoïdales hépatiques situées à la surface de l’organe. Ces cellules jouent un rôle majeur dans la détoxification de l’organisme, permettant le passage de « déchets » moléculaires du sang vers le foie où ils sont dégradés puis éliminés. « Au départ, la sénescence n’entraîne pas de conséquence sur l’activité de filtrage qui continue à fonctionner correctement. Mais avec le temps, cette fonction diminue et des résidus toxiques induisant du stress oxydatif commencent à s’accumuler dans l’organisme. Ce mécanisme qui survient précocement pourrait être un déclencheur du vieillissement et de l’apparition des maladies liées à l’âge. Nous nous sommes donc focalisés sur ce tissu pour étudier l’impact de l’élimination spontanée des cellules sénescentes dans notre modèle animal », explique Dmitry Bulavin.

L’équipe de recherche a observé que les souris dont les cellules hépatiques sénescentes étaient éliminées se portaient globalement moins bien que les autres. Elles présentaient non seulement un défaut de plaquettes sanguines prédictif de mortalité précoce, mais aussi des fibroses hépatiques (tissu cicatriciel au niveau du foie) apparaissant avec la destruction des cellules sénescentes. « Il s’agit d’un mécanisme de réparation nocif pour les tissus qui détériore encore plus rapidement sa fonction que l’apparition progressive de ces cellules sénescentes », explique Dmitry Bulavin. Selon lui, l’élimination de l’ensemble des cellules sénescentes n’est donc pas la solution. « Nous devons à la place, trouver des moyens de retarder l’effet de la sénescence. De précédents travaux ont montré que cette dernière se caractérise par des marques épigénétiques, des modifications chimiques altérant le fonctionnement de l’ADN, mais pas sa séquence. Elles empêchent l’expression de nombreux gènes. Avec mon équipe, nous allons désormais explorer une piste qui semble prometteuse : reprogrammer les cellules sénescentes pour leur faire perdre leur caractère sénescent et les rendre à nouveau fonctionnelles », conclut-il.

 Figure Bulavin

Les cellules sénescentes au niveau du foie apparaissent en vert sur l’image. Dmitry Bulavin


Sources

Defined p16High Senescent Cell Types Are Indispensable for Mouse Healthspan
Laurent Grosse1,4, Nicole Wagner2,4,Alexander Emelyanov1, Clement Molina1, Sandra Lacas-Gervais3, Kay Dietrich Wagner2 Dmitry V.Bulavin1,5
1 Institute for Research on Cancer and Aging of Nice (IRCAN), INSERM, Université Côte d'Azur, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Nice, France
2 Université Côte d'Azur, INSERM, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Institute of Biology Valrose, Nice, France
3 Electron Microscopy Facility, Centre Commun de Microscopie Appliquée, CCMA, Université Côte d'Azur, UCA, Nice, France

Cell Metabolism, Juin 2020
DOI : https://doi.org/10.1016/j.cmet.2020.05.002

  • Contact chercheur : Dmitry Bulavin - Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement -  (Interviews possibles en anglais)

Source : communiqué Inserm

Image par Jill Wellington de Pixabay