Des états photoniques quantiques pour caractériser les propriétés optiques des matériaux

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Publié le 18 novembre 2020

Grâce à l’exploitation de paires de photons intriqués, des physiciens de l'INPHYNI (Institut de physique de Nice) ont introduit le concept d’interférométrie quantique en lumière blanche et l’appliquent à la caractérisation ultra précise de propriétés optiques des matériaux.

La détection de la phase optique représente l’une des mesures les plus avancées en métrologie classique. Elle a permis, notamment, la détection directe des ondes gravitationnelles. La précision maximale pour la mesure d’une phase relative Φ est donnée par la limite quantique standard, δΦ∼ 1/√N, où N représente le nombre de photons utilisés pour la mesure. Du point de vue fondamental, cette limite peut être dépassée en utilisant de la « lumière quantique », par exemple un état dit « N00N ». Si l’on considère un interféromètre, l’état N00N signi e qu’il y a N photons dans le bras 1, et aucun dans le bras 2, et en même temps aucun photon dans le bras 1 et N photons dans le bras 2. Les deux états N0 et 0N se superposent de manière cohérente en permanence, d’où le concept de « lumière quantique ». Il est possible de les faire interférer et, dans ce cas, on peut montrer que la sensibilité au changement de phase est multipliée par N, et la précision sur une mesure de phase peut atteindre la limite de Heisenberg, δΦ∼ 1/N.

Afin d’atteindre un tel niveau de sensibilité, il convient d’exploiter l’interférométrie quantique en lumière blanche qui, dans sa plus simple expression, nécessite la production d’un état N00N à deux photons (N = 2) dont la gamme de fréquence est aussi étendue que possible. Les états (20) et (02) forment une gure d’interférence qui est sensible à deux fois la phase relative entre les deux bras de l’interféromètre.

Pour produire un état N00N à deux photons, les chercheurs ont utilisé comme source de lumière blanche quantique un laser à 780 nm pompant un cristal non linéaire (cf. gure (a)). Des paires de photons intriqués en énergie-temps sont produites autour de 1560 nm avec une largeur spectrale de ∼ 120 nm. Les photons sont envoyés dans un interféromètre de type Mach-Zehnder fortement déséquilibré. Un bras est entièrement en espace libre (référence) et l’autre contient la bre à tester. Les paires de photons sont mesurées grâce à un détecteur de photons uniques à une sortie et un spectromètre sensible aux photons uniques dans l’autre sortie. Un spectrogramme typique (une gure d’interférence) est montré en gure (b).

Au-delà du doublement de la sensibilité en phase donnée par l’état 2002, l’interférométrie quantique apporte plusieurs avantages importants qui dépassent les capacités de l’interférométrie en lumière blanche standard. Notamment, la version quantique ne nécessite pas que l’interféromètre soit équilibré, permettant ainsi des séries de mesures avec des échantillons (matériaux ou bres optiques) possédant diverses épaisseurs/longueurs et/ou propriétés optiques. L’exploitation de ces avantages a permis d’effectuer une mesure avec une précision inédite de la dispersion chromatique (dépendance des temps de propagation des diverses composantes spectrales d’une impulsion optique) dans une bre optique. Sa connaissance est indispensable pour un grand nombre d’applications, comme la fabrication de bres spéciales pour les lasers dans les domaine de la médecine, des télécoms à très haut débit, de la spectroscopie, etc.

La précision issue de l’analyse statistique est montrée en gure (c), et est obtenue en répétant cette mesure 100 fois sur la même bre. Ainsi, la dispersion chromatique de la bre vaut D = 17,035 ps/nm·km à 1560 nm, qui est en excellent accord avec les spéci cations du fabricant. La précision obtenue est de ± 0,021 ps/nm·km, ce qui est 2,4 fois meilleur que la mesure standard (± 0,054 ps/nm·km) effectuée en parallèle, selon la même démarche scienti que et en utilisant 60 fois moins de photons en moyenne par rapport aux meilleures réalisations classiques.

Du fait de ces nombreux avantages (haute précision, rapidité de mesure accrue), l’exploitation de paires de photons intriqués devrait avoir des répercussions importantes dans la caractérisation systématique et en temps réel des propriétés optiques de nombreux matériaux.

Sebastien Tanzilli -