Quand les neurones ne reconnaissent plus la droite de la gauche

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Publié le 6 mars 2023 Mis à jour le 24 mars 2023
Date(s)

le 1 mars 2023

gaucher
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Une étude de l’institut de Biologie Valrose (Université Côte d’Azur, CNRS, Inserm), publiée dans la revue Nature Communications au mois de février 2023, a identifié chez la drosophile une voie de guidage axonal qui est essentielle à la construction d’un circuit neuronal asymétrique, lui-même essentiel à la mémoire à long terme. Ce travail ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude de l’asymétrie du cerveau et de ses multiples fonctions.

De même que notre coeur, dont la partie droite et la partie gauche jouent des rôles distincts dans la circulation sanguine, notre cerveau est en réalité composé d’un cerveau gauche et d’un cerveau droit aux fonctions bien différenciées. Comment le cerveau devient-il latéralisé, quels sont les gènes contrôlant son asymétrie droite-gauche et quel est son rôle dans les grandes fonctions cognitives sont autant de questions ouvertes ? 

Chacun au travers de son expérience personnelle peut prendre conscience que notre cerveau fonctionne de façon asymétrique : par exemple, nous utilisons de façon préférentielle l’une des deux mains (90% de la population est droitière, 10% gauchère), et malgré une vision binoculaire nous possédons un oeil directeur. Par ailleurs, nous savons depuis les travaux pionniers de PP. Broca que le siège du langage se trouve dans l’hémisphère gauche. La latéralisation du cerveau et la dominance des hémisphères dans la réalisation de nombreuses fonctions cognitives (langage, créativité, représentation dans l’espace, interactions sociales, etc..) sont connues depuis plusieurs siècles, et plusieurs troubles neurologiques (dyslexie, schizophrénie, autisme, trouble de l’attention, etc..) sont associés à des défauts de latéralité du cerveau. Mais de façon surprenante, nous ne disposons à nos jours que de connaissances très parcellaires concernant les bases génétiques de l’asymétrie droite-gauche du cerveau et de son rôle précis dans la cognition. L’asymétrie du cerveau est présente et conservée chez les animaux, de la drosophile à l’homme, cependant et contrairement aux asymétries des organes viscéraux (comme le positionnement du coeur à gauche) qui sont bien caractérisées, l’étude de l’asymétrie du système nerveux souffre d’un fort retard dû au manque de modèles génétiques adéquats.


Identification du premier gène contrôlant l'asymétrie droite-gauche

L’équipe de Stéphane Noselli (institut de Biologie Valrose, Université Côte d’Azur, CNRS, Inserm) a isolé le premier gène contrôlant l’asymétrie droite-gauche des organes viscéraux chez la drosophile, le gène myosin1D (myo1D), dont les mutations entrainent une inversion complète des organes (entrainant une condition pathologique appelée situs inversus). myo1D contrôle aussi l’asymétrie droite-gauche chez les vertébrés (zebrafish et xénope), et des études récentes ont identifié la première mutation de myo1D chez l’homme entrainant des défauts d’asymétrie droite-gauche chez une fillette consanguine. L’équipe a naturellement voulu déterminer si myo1D était aussi impliqué dans l’asymétrie droite-gauche du cerveau.

De façon surprenante cela n’est pas le cas, indiquant l’existence de gènes spécifiques contrôlant la latéralité du cerveau, et restant à découvrir. Dans le laboratoire, François Lapraz a mis en place une stratégie afin d’identifier plusieurs gènes contrôlant l’asymétrie d’un circuit neuronal composé de 20 neurones (10 neurones dans chaque hémisphère), appelés ‘neurones H’ du fait de leur morphologie rappelant un H majuscule (voir figure).

Chez des individus normaux, les neurones H droit et gauche projettent leurs axones dans la partie droite du cerveau (dans une zone appelée ‘corps asymétrique droit’ ; voir figure), créant ainsi un circuit neuronal asymétrique. De façon très intéressante, le laboratoire a découvert que des mutations dans le gène NetrinB rendaient le cerveau parfaitement symétrique, les neurones H droite et gauche projetant maintenant à la fois à droite et à gauche (voir figure). Le laboratoire a pu montrer que la fonction de NetB était requise uniquement à droite du cerveau, indiquant donc une fonction asymétrique de NetB essentielle au processus. NetB est un gène codant une protéine dite signal, qui diffuse d’un neurone à l’autre pour communiquer une information de guidage aux axones. Les neurones destinataires reçoivent cette information grâce à des récepteurs spécifiques (appelés unc-5 et fra). De façon logique, la mutation des gènes unc-5 et fra rend également le cerveau symétrique, indiquant que le voie NetB dans son ensemble est requise pour le guidage des neurones H.


Quel est le rôle de l’asymétrie des neurones H ?

En collaboration avec les laboratoires de T. Préat (ESPCI, Paris) et F. Besse (iBV, Nice), le laboratoire a pu montrer que les individus normaux (asymétriques) étaient doués de mémoire à long terme, alors que cette mémoire était très fortement affectée chez les individus mutants pour la voie NetB (symétriques). Ainsi, ce travail identifie les premiers gènes contrôlant l’asymétrie du cerveau chez la drosophile, gènes conservés chez les vertébrés et l’homme. Ils montrent par ailleurs l’importance de la latéralisation du cerveau dans une fonction cognitive importante comme la mémoire. De façon comparable à la préférence d’usage de la main chez l’homme, ou 10% des individus sont gauchers, dans la nature environ 5 % des drosophiles ont un cerveau symétrique, sans être mutantes. Cela veut-il dire qu’il est important de générer et préserver des minorités au sein d’une population, par exemple capables d’oublier certaines expériences lointaines ? la perte de la mémoire serait-elle nécessaire en réponse à certaines situations rencontrées dans la nature ?

L’utilisation des neurones H comme nouveau modèle d’étude permettra de répondre à cette question, ainsi que d’identifier de nouveaux gènes conservés impliqués dans la latéralité du cerveau et comprendre les fonctions cognitives associées.
Pour en savoir plus

Asymmetric activity of NetrinB controls laterality of the Drosophila brain. François Lapraz, Céline Boutres, Cloé Fixary-Schuster, Bruna R. De Queiroz, Pierre-Yves Plaçais, Delphine Cerezo, Florence Besse, Thomas Préat and Stéphane Noselli Nature Communications 2023, sous presse
https://www.nature.com/articles/s41467-023-36644-4

Contacts
  • François Lapraz, Ingénieur de Recherche Université Côte d’Azur - Francois.LAPRAZ@univ-cotedazur.fr
  • Stéphane Noselli, Directeur de Recherche CNRS - +33 4 89 15 07 50 - Stephane.NOSELLI@univ-cotedazur.fr
  • Communication iBV : Michel BIDET - 04 89 15 08 05

schema noselli lapraz
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Illustration : Montage d’images de neurones H chez des individus normaux (à gauche), ou l’on peut voir les neurones droit (D) et gauche (G) projeter leurs axones dans le corps asymétrique droit (CAD). Dans les mutants pour la voie NetrinB (NetB, unc-5, fra), ces neurones perdent leur asymétrie et projettent leurs axones à la fois à droite et à gauche du cerveau. Les individus symétriques perdent la mémoire à long terme. © iBV – François Lapraz, Stéphane Noselli