La lanterne d’Aristote de l’oursin éclaire les mécanismes de l’évolution des génomes et du développement embryonnaire

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Publié le 21 avril 2023 Mis à jour le 24 avril 2023
Date(s)

le 17 avril 2023

Oursin
Oursin

Comment évoluent les génomes à l’échelle des gènes et des chromosomes et quels sont les mécanismes qui ont permis l’apparition de nouveautés au cours de l’évolution sont des questions pressantes auxquelles les biologistes du développement et de l’évolution tentent de répondre. Le séquençage et la comparaison du génome de l’oursin Méditerranéen Paracentrotus lividus par un consortium de laboratoires Européens, publié dans Cell Genomics, apporte des éléments de réponse à ces questions.

Les chercheurs révèlent notamment l’existence de tendances opposées entre l’oursin et les vertébrés en ce qui concerne l’évolution de l’ordre des gènes au sein des chromosomes mais suggère en revanche une forte conservation des modules de régulation des gènes entre l’oursin et les chordés.

L’oursin a intrigué les esprits curieux depuis l’antiquité et l’un d’eux, le philosophe et naturaliste grec Aristote, a même laissé son nom à l’organe masticateur de ces animaux qu’il a comparé à une lanterne : la lanterne d’Aristote. Très prisés des gourmets, pour le goût délicat de leur gonades, les oursins le sont aussi des biologistes du développement, en raison de la transparence à couper le souffle de leur oeufs et embryons et de l’abondance de leurs gamètes, ils ont permis nombre de découvertes majeures en biologie du développement telles que le rôle des chromosomes en tant que support de l’hérédité par Boveri, la grande plasticité des blastomères et les processus d’induction embryonnaire par Driesch et Hörstadius ou le rôle des cyclines dans le cycle cellulaire par Hunt.

Les oursins appartiennent à l’embranchement des échinodermes qui appartient au groupe frère des chordés et des vertébrés dans l’arbre évolutif. Les échinodermes à l’état adulte, se distinguent par plusieurs « nouveautés » remarquables telles qu’un endosquelette de carbonate de calcium et un système vasculaire constitué de pieds ambulacraires mus par une circulation d’eau à l’intérieur d’un système de canaux. Au cours du développement, l’embryon d’oursin, à la différence des autres échinodermes, possède également un squelette larvaire construit par une population de cellules mésenchymateuses particulière constituée de la descendance d’une partie des cellules dérivées des premiers clivages de l’embryon (les micromères) dont l’identité est fixée très tôt au cours du développement.

Afin de mieux comprendre les grandes tendances de l’évolution du génome des échinodermes et les mécanismes qui sous-tendent l’apparition de ces nouvelles structures chez les oursins, les chercheurs ont comparé l’architecture du génome et le programme d’expression des gènes de l’oursin Méditerranéen Paracentrotus lividus avec ceux d’autres espèces d’oursins et avec les chordés. Les analyses réalisées par les scientifiques révèlent que le génome des oursins est relativement stable par rapport à celui des vertébrés. Ainsi, comme les génomes des céphalochordés, des mollusques ou des cnidaires mais à la différence des vertébrés, le génome de l’oursin semble avoir préservé les chromosomes ancestraux (ou groupe de liaison) présents chez les animaux depuis des centaines de millions d’années.

Cependant, de façon inattendue, les chercheurs ont découvert que, à une échelle plus fine, l’ordre des gènes au sein des chromosomes (microsynténie) évolue à grande vitesse entre les espèces d’oursins, ce qui fait que l’ordre des gènes est très différent entre ces espèces d’oursin. L’analyse du contenu en gène de ce génome révèle par ailleurs l’existence de nombreux gènes dupliqués dont l’expression localisée dans des organes tels que la lanterne d’Aristote, le système vasculaire aqueux ou dans le mésenchyme à l’origine du squelette embryonnaire pourrait être associée à l’apparition de ces structures.

Enfin, des comparaisons de l’expression temporelle des gènes (technique RNA-seq) et des modules de régulation en cis des gènes (technique ATAC-seq) entre l’oursin et les chordés suggèrent une profonde conservation des mécanismes et de la logique régulatrice contrôlant le développement embryonnaire. Cette étude met donc en lumière l’existence de tendances très distinctes au niveau de l’évolution des génomes des échinodermes et des vertébrés malgré une forte conservation du programme d’expression de gènes au cours du développement embryonnaire.
Pour en savoir plus

Ferdinand Marletaz, Arnaud Couloux, Julie Poulain, ..., Maria Ina Arnone, Christian Gache, Thierry Lepage. Analysis of the P. lividus sea urchin genome highlights contrasting trends of genomic and regulatory evolution in deuterostomes. Cell Genomics (2023).
DOI : https://doi.org/10.1016/j.xgen.2023.100295

Contact

Thierry Lepage, Directeur de Recherches CNRS - Thierry.LEPAGE@univ-cotedazur.fr - 04 89 15 08 30


schema lepage oursin
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© Thierry Lepage & Ferdinand Marletaz Figure. Schémas de gauche, haut : comparaisons de la structure chromosomique entre l’homme et la souris montrant l’existence de nombreux réarrangements inter-chromosomiques mais la présence de long segments colinéaires entre les deux espèces. bas, comparaison de la structure du chromosome 1 entre deux espèces d’oursin révélant l’absence de conservation de l’ordre des gènes visibles au sein d'une paire de chromosomes homologues. Schéma de droite, comparaisons du programme d’expression génique temporel (RNA-seq) et des modules de régulation des gènes (ATAC-seq) entre l’oursin et les chordés révélant une conservation importante du programme de développement et des modules de régulation en-cis des gènes.


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